Antonio VIVALDI (1678-1741)
Sinfonia pour cordes R. 169 «Al santo sepulcro»
Wolfgang Amadeus MOZART (1776-1791)
Laudate Dominum en Ut majeur K.339
Symphonie K.385 «Haffner»
Gabriel FAURE (1845-1924)
Requiem op.48 (version de 1893)
Sandrine Piau (soprano), Daniel Boaz (baryton)
Collegiate Chorale
Verbier Festival Chamber Orchestra
Jean-Christophe Spinosi (direction)
Festival de Verbier, Salle Médran, Samedi 18 juillet 2009
Requiem pour les vivants
Avouons-le, Jean-Christophe Spinosi est exclusivement connu des discophiles pour les enregistrements qu’il a consacrés à Vivaldi chez Naïve. On sait moins que ce violoniste de formation a abordé la direction d’orchestre sous la houlette de Pierre Dervaux en étudiant les compositeurs français. C’est pourtant la première fois qu’il dirige le Requiem de Fauré, œuvre qu’il connait cependant bien pour en avoir joué la partie de violon solo.
Si ce monument de musique ne vient qu’après l’entracte, le thème de la mort est présent dès la pièce d’ouverture du concert, une Sinfonia méconnue de Vivaldi intitulée Al santo sepulcro. Articulée en deux mouvements (au lieu des trois habituels), cette composition commence par une sorte de « musique du silence », Adagio molto, qui précède un Allegro ma poco fugué. Bien exécutée par un spécialiste du genre, la pièce, très courte, inaugure un programme dans lequel le Verbier Chamber Orchestra, phalange constituée de jeunes musiciens appelés à de grandes carrières, tire son épingle du jeu. Malgré le nombre réduit de répétitions, l’ensemble est très malléable et Spinosi, en fin connaisseur des harmonies du prêtre roux, en exploite très joliment les couleurs.
On doit le premier frisson de la soirée aux talents conjugués de Mozart et de Sandrine Piau. La soprano, malade, décide, pour des raisons que l’on comprend aisément, de préserver son organe et de ne pas chanter l’Agnus Dei des Litanae Dominum K 195 prévu au programme. Elle illumine néanmoins de son irrésistible voix le Laudate Dominum K.339 que Spinosi, d’une exquise légèreté, prend soin de ponctuer délicatement d’un accompagnement qui nous emmène sur les chemins du paradis. Mozart se succède à lui-même mais le changement d’ambiance est radical puisque les musiciens se lancent dans une exécution endiablée de la Symphonie « Haffner ». Le chef, qui sait ce que théâtre veut dire, nous emmène presque dans le monde de l’opéra. Le premier mouvement s’ouvre sur une introduction tellement chargée en énergie que la baguette de Spinosi lui échappe des mains pour atterrir aux pieds d’une violoncelliste… Au-delà de l’anecdote, le ton est donné. Si le deuxième mouvement eut pu être un peu plus aérien ou vaporeux, le phrasé des cordes est néanmoins irrésistible. L’interprétation du Minuetto insiste sur l’inspiration rustique de l’écriture chère à…Haydn (volontaire ou non l’hommage est pertinent), tandis que le Presto final est comme le reste de la prestation de la soirée : décomplexé. Un Mozart des plus jouissif comme on rêve d’en entendre tous les jours.
Changement d’époque et d’atmosphère avec un Requiem de Fauré qui laissera des traces dans les mémoires. Ni le lieu (une tente dont l’acoustique n’a rien à voir avec celle d’une église ou d’une salle de concert traditionnelle), ni l’événement (un festival estival) ne sont propices au recueillement pieux que suscite souvent cette œuvre. Ce n’est de toute façon pas l’optique de Spinosi, qui ancre son interprétation dans des sonorités moelleuses, presque charnelles et ce, dès le premier accord de l’Introït et Kyrie très théâtral. La Collegiate Chorale est irréprochable et magnifique, particulièrement dans le somptueux Offertoire et dans le Libera me dont chaque mot et respiration résonnent comme les supplications désespérées d’un être qui ne veut pas mourir. La souplesse et la malléabilité des cordes (graves puisque privées de violons) offrent un tapis sonore idéal à la polyphonie claire et précise que nous offre le chœur.
Il n’est pas question ici de métaphysique désincarnée mais de substance, assez opulente malgré la taille réduite de l’orchestre. Pas besoin de cent musiciens pour être généreux dans la sonorité ! La lecture de l’œuvre reste résolument et volontairement terrestre tandis que le violon solo du Sanctus s’élève vers les cieux tel un ange observant la scène d’en haut, avec bienveillance. D’humanité, il en est encore question avec Sandrine Piau et son Pie Jesus à faire pleurer les pierres. De peur d’en perdre une seule note ou un seul souffle, on reste pendu à ses lèvres, hypnotisé par une indicible sensualité, inexplicable à ce stade de l’œuvre… Que dire de l’autre soliste, Daniel Boaz si ce n’est qu’il connait parfaitement ses ressources vocales (quel placement!) et possède une technique impressionnante. En bref, une soirée exceptionnelle qui se termine sur un triomphe public et une pluie de félicitations chaleureuses en coulisses.
Nicolas Derny