Giuseppe VERDI (1813-1901)
Il Trovatore
Opéra en quatre actes
Livret de Salvatore Cammarano et Leone Emanuele Bardare
Mise en scène: Stephen Taylor
Décors: Laurent Peduzzi
Costumes: Nathalie Prats
Lumières: Christian Pinaud
Le Comte de Luna: George Petean
Leonora: Tatiana Serjan
Azucena: Irina Mishura
Manrico: Zoran Todorovich
Ferrando: Burak Bilgili
Ines: Vanessa Beck Hurst
Ruiz: Vladimir Iliev
Un tzigane: Aleksandar Chaveev
Un messager: Terige Sirolli
Choeur du Grand Théâtre
Ching-Lien Wu
Orchestre de la Suisse Romande
Evelino Pidò
Genève, Grand Théâtre, 12 juin 2009
De la musique, avant toutes choses…
« Il Trovatore – autrefois l’opéra sans conteste le plus populaire de Verdi – est moins à la mode aujourd’hui » nous fait remarquer Luca Zoppelli dans le programme du concert. C’est un fait, et l’on ne peut donc que se réjouir du choix de l’opéra de Genève de programmer cette oeuvre extraordinaire pour la fin de sa saison.
La grande déception vient incontestablement de la mise en scène. Certes, l’adaptation de l’action durant la guerre d’Espagne est en soi une approche potentiellement intéressante, bien que la multiplication de ces transpositions à ambiance militaire éteint peu à peu leur originalité. Mais c’est bien dans le concret de la réalisation qu’apparaissent les problèmes : ni vraiment belle, ni intéressante, la mise en scène de Stephen Taylor tient un peu d’une mauvaise caricature de l’opéra : on entre, on chante, on sort. Cela ne vit pas, et cet aspect terriblement statique, ce manque de caractère, cette mollesse empêchent l’oeuvre de donner sa pleine mesure. Comment apprécier, par exemple, que l’explosif « Di Geloso amor spesato » soit représenté par une mollassonne charge de pistolets pour le duel : l’urgence, la tension incroyable de cette fin d’acte s’en trouve ramollie, bridée… De plus, certains chanteurs, eux-même piètres acteurs, achèvent d’aplatir cette mise en scène, tels le Comte de Luna qui semble aussi mal à l’aise sur scène que s’il vivait son premier rendez-vous amoureux d’adolescent. D’autres s’en sortent un peu mieux à ce niveau, sans toutefois briller ; seule Leonora possède une véritable dimension scénique. S’il ne s’agit pas non plus d’un ratage et qu’ici et là on trouvait quelques bonnes idées, il y avait, en général, assurément mieux à faire : preuve en est le quatrième acte, seule véritable réussite scénique, avec sa tour immense, froide et oppressante, et ses prêtres défilant, lugubres, à la rencontre du condamné à mort.
Heureusement, le manque d’intérêt de la mise en scène est largement compensé par une distribution vocale de haut vol, assurant à cette représentation un excellent niveau. Avoir un ténor comme Zoran Todorovich en Manrico est un bonheur trop rare. Le timbre est d’une extraordinaire richesse, la voix puissante et assurée, ancrée et musclée : c’est un délice corsé, tannique, qui respire la terre, les profondeurs du sol, un Manrico classieux se payant le luxe de tenir un aigu solaire pour conclure son bouillonnant « Di quella Pira ».
La Léonora de Tatiana Serjan est bouleversante: une voix d’une beauté saisissante, jusqu’au médium-aigu. Passé ce cap, elle laisse hélas entendre des aigus finaux trop faibles et laborieux. Etrange, compte tenu de sa performance d’ensemble, aussi sublime d’un point de vue musical que scénique.
Le Comte de Luna (George Petean), ses piètres performances d’acteur mises à part, offre une voix superbe et opulente, équilibrée sur toute la tessiture : « Il ballen del suo surriso » est, de par ses très belles lignes, enchanteur. Azucena (Irina Mischura) enfin nous a un peu moins convaincu : si toutes les notes et les nuances sont bien là et que l’exécution est de belle facture, il reste quelque chose, vocalement, d’un peu fade, d’un peu plat. L’orchestre de la Suisse Romande, quant à lui, nous gratifie à nouveau d’une superbe prestation, confirmant qu’il se prête à merveille à l’exercice lyrique. Sous la baguette engagée d’Evelino Pido, la phalange a su se montrer véritablement théâtrale et donner pleine mesure aux moments cruciaux. On notera enfin tout particulièrement la grande qualité du choeur du Grand Théâtre, renforcé par l’ensemble Orpheus de Sofia, rappelant les billants moments de la Scala.
Un décalage donc, entre une mise en scène franchement passable, et une exécution musicale vraiment enthousiasmante. Reconnaissons tout de même que la scénographie du Trouvère n’est pas des plus simples; peut-être une meilleure direction d’acteur aurait-elle suffi à décoincer le tout. Il n’en reste pas moins que l’aspect musical à lui seul suffisait largement à présenter une très belle version de cet opéra dont l’écoute nous rappelle à chaque fois, si besoin est, ses splendides qualités.
Christophe Schuwey
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