Joli parcours que celui de Patricia Petibon qui, en dix ans de carrière est parvenue à gagner un à un ses galons de vedette internationale. Découverte par William Christie, elle fait des débuts remarqués dans Hippolyte et Aricie à Garnier en 1996, qui lui ont permis de travailler ensuite avec la fine fleur des chefs baroques, Minkowski, Gardiner et Harnoncourt. Parallèlement, elle aborde des compositeurs aussi divers que Donizetti (Don Pasquale), Strauss (Ariadne auf Naxos) ou Poulenc (Le Dialogue des Carmélites) ainsi que les rôles français de soprano léger auxquels sa typologie vocale la destine : Lakmé, Ophélie et Olympia. En 2004, elle se démarque de ses consœurs en optant délibérément pour la fantaisie : son disque « French touch » et le récital éponyme qui a suivi à Gaveau, où le burlesque le disputait au loufoque, a été diversement apprécié par les puristes, qui, en France surtout, manquent parfois d’humour.
C’est à Vienne, où elle est régulièrement invitée, notamment par Nikolaus Harnoncourt, qu’elle connaît la consécration. En 2008, la prestigieuse Deutsche Grammophon lui ouvre ses portes. Son premier récital sous ce label, « Amoureuse », paru à l’automne dernier, a été salué par la critique. Entretemps, elle a abordé avec bonheur le rôle de Camille dans Zampa de Hérold à l’Opéra-Comique sous la direction de William Christie.
Pour son concert au théâtre des Champs- Elysées dans la série des Grandes Voix, Patricia Petibon revient au répertoire baroque en proposant un programme extrêmement cohérent, axé sur Haendel et Vivaldi, dans lequel le « Caro Sassone » se taille la part du lion, deux-cent-cinquantenaire oblige.
Choisir le redoutable « Ah mio cor » d’Alcina comme air d’entrée, est une gageure que la soprano française assume crânement, avec un investissement dramatique qu’on ne lui soupçonnait pas. Certes, l’instrument n’est pas encore « chauffé » ce que trahissent quelques aigus un peu raides et pris par en dessous mais le personnage existe et sa souffrance nous touche. La voix de la chanteuse s’épanouit plus librement dans le motet de Vivaldi « In furore » mieux adapté à ses moyens. Elle se montre cependant plus convaincante dans l’élégie de la section médiane « Tunc meus fletus » ainsi que dans l’ « Alleluia » conclusif que dans l’explosion de colère initiale.
Dans la seconde partie du concert, entièrement dédiée à Haendel, l’air de Ginevra « Il mio crudel martoro » constitue le sommet absolu de ce récital. Patricia Petibon s’y révèle une véritable tragédienne : immobile au milieu de ses musiciens, le visage hiératique, elle exprime avec une émotion intense les tourments de la jeune héroïne qu’elle avait incarnée avec grand succès à Genève en 2007, face à l’Ariodante de DiDonato. Cette fois, l’aigu est totalement en place et, comme on avait pu le constater au cours des représentations de Zampa l’an passé, le medium a gagné en volume et en rondeur.
Le programme officiel s’achève avec un ébouriffant « Tornami a vagheggiar » qui contraste plaisamment avec les airs de colère ou de déploration qui ont précédé. L’écriture de Morgana convient mieux que celle d’Alcina aux moyens de la cantatrice qui allège son émission et offre d’impeccables coloratures. Scéniquement, elle se livre à un désopilant numéro de séduction avec le violoncelliste, qui se retrouve malgré lui, l’espace d’un air, dans la peau d’Oronte.
Enfin, pour son dernier bis, la cantatrice a choisi la chaconne de Charpentier « Sans frayeur dans ce bois » dont le texte à double sens lui permet de finir sur un clin d’œil en se livrant à d’inénarrables facéties avec les accessoires les plus incongrus.
L’ensemble baroque Amarillis offre un écrin de luxe à Patricia Petibon dont la complicité avec les musiciens est évidente. Les pages orchestrales s’intercalent naturellement entre les airs, sans solution de continuité. Si l’introduction du motet de Vivaldi a paru un peu sage, le concerto pour flautino du prêtre roux est particulièrement réussi, Héloïse Gaillard s’y montre d’une impeccable virtuosité.
En conclusion, nous citerons simplement ce spectateur qui s’est écrié entre les deux bis : « Patricia, on t’aime !»