« Trouver un écho musical qui réponde à l’originalité du texte de La cantatrice chauve » : Jean-Philippe Calvin, jeune compositeur français formé à l’école de Xenakis et de l’IRCAM, place la barre haute. Dès sa création, le 11 mai 1950 à Paris, la pièce d’Eugène Ionesco fut citée comme un modèle de non-sens. Jouée sans interruption depuis le 16 février 1957 au Théâtre de la Huchette, elle fait figure de monument dans l’histoire du théâtre français. Absurde mais pas tant que ça. Derrière des dialogues sans queue ni tête inspirés par la méthode Assimil et son enchaînement stupide de courtes phrases, c’est l’insignifiance des rapports humains et la difficulté de communiquer – l’incompréhensibilité des hommes – qui sont pointés du doigt.
Projet ambitieux donc de fournir un équivalent musical à une pièce culte d’autant que Jean-Philippe Calvin pousse le bouchon plus loin encore en déclarant vouloir créer un « anti-opéra bouffe », « une œuvre innovante, contemporaine et drôle », « à la manière d’un Gluck souhaitant en son temps réformer l’opéra italien ». Le désenchantement du spectateur sera à la mesure des espérances qu’engendrent de telles promesses. A l’arrivée, on n’aura pas entendu grand-chose de neuf sous les lambris dorés de l’Athénée.
Une écriture souvent dissonante, déstructurée, qui découpe la pièce en numéros comme au bon vieux temps de l’opera buffa et, par le style renvoie aux errements de l’avant-garde, ceux-là même qui poussèrent le public à déserter les salles de concert (deux dames d’ailleurs s’enfuirent discrètement dix minutes après le début de l’opéra). Quelles que soient leurs qualités – flûte, percussions – les solistes de l’Orchestre Lamoureux placés sous la direction de Vincent Renaud ne peuvent rendre plus engageant un matériau voulu aride. Les effets électroniques réalisés par Stefan Tiedje sont les bienvenus jusqu’à ce que la saturation de l’espace sonore à la fin de l’œuvre, quand les personnages sont pris de folie, apparaisse comme une solution facile.
Quelques pastiches qui, dans cet univers abstrait, sont un baume pour l’oreille : l’entrée de la bonne sur le rythme de la habanera de Carmen, une allusion à Mahler, la parodie d’air d’opéra italien qui évoque moins Donizetti que Bernstein, tout comme d’ailleurs le « duo d’amour » entre les Martin rappelle West Side Story. Là encore, on espérait plus d’inventivité.
Un traitement des voix qui repose sur l’utilisation des écarts et des extrêmes des registres, sans qu’on parvienne à déterminer s’il s’agit d’une volonté de caricature ou non, avec un recours trop fréquent au langage parlé. Un tel parti-pris ne favorise pas l’hédonisme vocal. Seul le soprano fruité de Stéphanie Varnerin – Mrs Martin – émerge du lot. Les passages lyriques sont plutôt réservés à Mary, Valérie Komar pleine de bonne volonté (jusqu’à réaliser un strip-tease digne d’un numéro de cabaret) mais un peu raide dans le rôle. L’affichage des surtitres à droite et à gauche de la scène s’avère nécessaire, les interprètes n’étant pas toujours intelligibles, parfois même audibles ce qui ne manque pas de surprendre dans une salle aux dimensions de l’Athénée.
La mise en scène, de François Berreur, un élève de Jean-Luc Lagarce dont le travail sur La cantatrice chauve – la pièce de théâtre – fait aujourd’hui référence, est finalement ce qu’on retient de mieux. Dans un décor design aux seules couleurs noire et blanche, pour se démarquer sans doute des teintes vives qu’utilisait Lagarce, elle joue la carte de la folie ordinaire avec un jeu précis, vivant qui s’accorde au texte et à la musique sans refuser aux personnages leur part d’humanité, et de sensualité ainsi qu’en témoignent les embrassades successives des trois couples de l’histoire. L’horloge, autre élément du décor avec la table basse et le canapé, change de couleur en fonction des ambiances et tourne. « Il est neuf heures » lance Mrs Martin à la fin de l’opéra, en guise d’ultime réplique. Neuf heures dix exactement ; chaque minute compte quand on trouve le temps long.