…et le public que l’on prend pour un imbécile. Cette parodie du titre célèbre de Gilbert Cesbron, C’est Mozart qu’on assassine, se justifie par la prétention et l’ineptie d’une mise en scène qui a cru devoir s’éloigner des costumes anciens, édulcorant, paraît-il, la violence du sujet, pour mettre celle-ci précisément en valeur ! Le public d’aujourd’hui est évidemment trop faible d’esprit pour saisir la violence de mœurs revêtues de somptueux costumes à la François Ier.
Ici, Gilda arborait de petits tailleurs environ 1950, et les courtisanes, des oripeaux de prostituées (sans jeu de mots). Les hommes revêtaient de laides tenues vaguement militaires, avec des chaussures de rangers au point qu’une dame, à l’entracte, s’adressa à un pompier portant quasiment les mêmes. « Vous venez de la scène ? », lui demanda-t-elle avec ironie ; l’excellent homme, ne comprenant pas l’allusion, répondit avec courtoisie qu’il était placé sur le grand escalier de l’Opéra afin d’attirer l’attention sur le caractère glissant du marbre. Glissons, nous-aussi, mais sur le sordide de la mise en scène : une connivence d’atmosphère de totalitarisme entre « duc » (le chef) et « courtisans » (ses soldats), se saluant les poings levés (!). Des bâtons remplaçaient les épées d’apparat, servant à arracher la plus intime lingerie féminine de ces dames, ou à rouer de coups le pauvre Conte di Monterone, à terre, et dont on se demande comment il va lancer son impressionnante invective « Sii maledetto ! », dominant l’ensemble, au point culminant de la stretta finale du premier tableau. Passons sur le viol collectif de Giovanna au moment du ravissement de Gilda (jamais Giovanna ne fut d’ailleurs plus punie d’avoir laissé entrer le séducteur !), ignorons, dans l’étroit et rudimentaire décor, le courtisan-soldat sortant des toilettes… et d’autres incongruités ou vulgarités.
Encore un pauvre metteur en scène n’ayant pas compris que l’on SAIT bien que ces courtisans étaient faux, voire vils et vulgaires, mais que, pour y croire, pour adhérer aux conventions du genre, il faut un minimum de prestance même chez les méchants !
Le sordide n’impressionne pas, il coupe la magie s’emparant du spectateur assistant à l’exécution musicale d’un opéra, il brûle les ailes de la musique, et comme le répétait un digne professeur de lycée, écoeuré d’emmener, dans ces conditions déplorables, nombre d’élèves à l’Opéra et depuis des années : « L’œil tue l’oreille ! ».
La distribution peine à racheter l’ineptie de la présentation scénique, car les voix sont valeureuses mais souvent sans chaleur et à la prestation non impeccable. Une Gilda de haut niveau la domine : Elena Gorshunova possède un timbre de colorature d‘aujourd’hui, c’est-à-dire corsé, incisif. Malheureusement, ce soir-là, elle devait notamment « craquer » le suraigu traditionnel et si impressionnant, au paroxysme du Finale Secondo. Le timbre large de Tómas Tómasson peut impressionner d’emblée mais il est froid et amer, on est loin de la rondeur, de la chaleur du « baryton Verdi ». Il faut dire que le chanteur pratique également des rôles de basse véritable, comme Sparafucile, Zarastro ou le Marchese di Calatrava ! On a, du reste, afin de l’épargner, dû couper la moitié de la stretta finale « Ah ! veglia, o donna » du Duo Rigoletto-Gilda au premier acte. Honteuse coupure des années 50, que l’on rougit de retrouver aujourd’hui, comme d’autres, plus petites mais inadmissibles à une époque de respect des partitions. Plutôt que le chef, il faut probablement en inculper des partitions défectueuses, portant encore la marque de ces coupures autrefois traditionnelles.
Quand on en est là (de coupures et d’exécution approximative), peu importe que le hautbois « craque » une fausse note au seul moment de la partition où il ne le fallait pas, l’introduction du célèbre « Tutte le feste al tempio », pratiquement second air de Gilda.
La Direction a dû remplacer le ténor et malgré l’évidente permanence de Rigoletto au répertoire, un ténor lirico spinto ne se trouve pas facilement. Soyons donc patients en découvrant Andrei Dunaev, au chaleureux timbre certes très lirico mais pas complètement spinto (le terme signifie « poussé », « appuyé »). Il a fallu adapter le rôle à ses possibilités, et donc nous résigner à ne pas entendre le da capo de la brillante cabalette « Possente amor » de son air du deuxième acte.
Jean Teitgen (Sparafucile) est désormais un habitué de la première scène de Lorraine et on pouvait se féliciter de l’entendre dans un rôle plus étendu et mettant en valeur ses impressionnantes qualités vocales. Varduhi Abrahamyan est un mezzo-soprano au timbre charnu et suffisant pour Maddalena. Les autres nombreux personnages sont honnêtement tenus, dans l’ensemble.
Les Chœurs sont corrects, et la direction de Paolo Olmi est équilibrée, dans ce qu’elle peut mettre en valeur de la musique. On a en effet dans l’oreille la manière du Maestro plutôt dans Rossini, et on constate ici qu’il doit se résoudre souvent à accompagner.
Une honte visuellement — peu rachetée par l’exécution musicale — condamnée par le terme italien consacré de « Vergogna ! », lancé par un spectateur indigné et furieux lors des saluts finals, et qui fit changer de couleur les choristes et le chef d’orchestre jusque-là rayonnants.