Joseph HAYDN (1732- 1809)
L’Infedelta delusa
Burletta per musica in due atti
Livret de l’abbé Coltellini
Nouvelle production de l’Académie Européenne de Musique- Festival d’Aix-en-Provence
Coproduction Opéra Toulon Provence Méditerranée,
Grand-Théâtre de Luxembourg, Musikfest de Bremen, Opéra de Lille
Mise en scène, Richard Brunel
Dramaturgie, Catherine Ailloud-Nicolas
Scénographie, Anouk Dell’Aiera
Costumes, Marianne Delayre
Lumières, David Debrinay
Vespina : Claire Debono
Sandrina : Elisandra Melian
Filippo : Ian Paton
Nencio : James Elliott
Nanni : Thomas Tatzl
Orchestre Le Cercle de l’Harmonie
Claveciniste, chef de chant, François Guerrier
Direction musicale, Jérémie Rohrer
Toulon, le 13 mars 2009
Zola chez Haydn.
Coproducteur du spectacle, l’Opéra de Toulon Provence Méditerranée accueille la tournée européenne de ce divertissement écrit à l’intention des hôtes de Esterhaza, grands seigneurs invités à se distraire d’une intrigue d’amours paysannes et des ruses inépuisables des femmes. Dans son précieux Mille et un opéras, Piotr Kaminski souligne la faible caractérisation des personnages, aussi bien par le livret que par la musique, ce qui fait de l’œuvre, au-delà de maint détails savoureux ou novateurs, un catalogue d’airs de concert. On ne saurait mieux dire, et du même coup indiquer la nécessité d’interprètes de premier rang pour tenir en haleine l’auditoire quand la dramaturgie n’y suffit pas.
Or il faut bien reconnaître que seuls les interprètes de Vespina et de Nanni sont à la hauteur du défi, et que la scénographie, conçue pour le plein air de la cour Maynier d’Oppède, ne contribue pas particulièrement à l’agrément du spectateur. Les espaces dévolus aux personnages semblent arbitraires ; leur aspect géométrique, en dissonance avec la souplesse du discours musical, ne suggère en rien la douceur du soir initiale. Le thème sous-jacent de l’œuvre est le « bon sauvage » selon l’élite dominante : les rustres savent être heureux s’ils se contentent de ce qu’ils ont, et ne le sont pas s’ils veulent s’enrichir, c’est-à-dire changer leur place dans la société. D’où l’atmosphère pastorale, propre à peindre la vie paysanne de couleurs idylliques, dont la fin ramènera le règne après la déconfiture de l’ambition. C’est pourquoi cette entrée de travailleurs harassés, ces outils agricoles brandis comme autant de menaces, ce grenier vidé si laborieusement, ces réserves répandues – sous réserve que notre interprétation soit juste – et ce défilé de massacres nous ont semblé peu pertinents, et même en contradiction avec l’esprit du livret comme avec la musique. Même remarque à propos du jeu avec la toilette de mariée, qui semble prêter au père et au riche prétendant des penchants fétichistes ou autres, ou de la scène où le père déshabille sa fille ; autant d’efforts inutiles pour faire des personnages autre chose que les stéréotypes qu’ils sont pourtant. Quant aux costumes, hormis le premier déguisement de Vespina, ils nous ont paru de la plus grande banalité. Bref en dehors des éclairages, l’aspect scénique ne nous a ni convaincu ni conquis.
Non que les chanteurs n’aient fait de leur mieux de ce point de vue. Dans le rôle de l’ambitieux crédule, désireux d’ascension sociale mais soucieux de ne pas apparaître comme un mauvais père, Ian Paton manque toutefois de graves et du charisme qui donnerait à sa longue scène avec sa fille plus d’intérêt qu’elle n’en obtient. Sans doute faut-il observer que sa partenaire était muette, puisque la titulaire annoncée ayant dû être hospitalisée était remplacée par Elijandra Melian, qui chantait dans la fosse, et c’est la secrétaire de la production qui mimait le rôle. Félicitons les deux : le trouble inévitable était vraiment réduit au minimum ; mais la prestation de la soprano canarienne n’a pas dépassé l’honnête, sans démérite mais sans séduction particulière. James Elliott chante Nencio, le riche paysan qui semble s’être lassé de Vespina ; son chant n’a pas l’impact du physique d’athlète qu’il dévoile et sa diction de l’italien sent l’application. Dans le petit rôle de Nanni Thomas Tatzl est plus convaincant ; sa voix est bien timbrée et bien projetée, sa présence scénique est immédiate, on souhaiterait l’entendre à nouveau. Reste Claire Debono, dont la performance rend justice au rôle de Vespina, aussi bien dans son air de fureur du premier acte que dans ses apparitions déguisées ou travesties. Non seulement elle maîtrise la rhétorique du chant au moyen d’une voix, ronde, souple et étendue, mais son abattage scénique, en particulier dans la longue et difficile scène de la vieille, la qualifient comme interprète de premier plan dans ce répertoire. Elle sera justement la triomphatrice de la soirée.
Jérémie Rohrer, à la tête de son Cercle de l’Harmonie, remportera lui aussi un succès mérité. Dès l’ouverture, sa direction nerveuse et millimétrée lance l’ouvrage avec une alacrité des plus savoureuses, et l’orchestre réagit comme un pur-sang mené à la parade. Pourtant, est-ce la partition dont le charme initial tend à disparaître sous les répétitions formelles, est-ce une certaine fatigue de l’ensemble, très sollicité cette semaine-là, avec une participation au concert donné à l’Opéra-Comique pour le lancement du projet Bru-Zanetti à Venise, on ne peut se défendre au bout d’un moment d’éprouver l’impression d’une certaine routine d’exécution. Au deuxième acte, écriture musicale aidant, l’impression disparaîtra et il restera la satisfaction renouvelée d’avoir entendu un orchestre d’une parfaite cohérence, aux cordes soyeuses et aux vents sans défaut, résultat probable de la continuité du travail effectué depuis la création de l’ensemble par les mêmes musiciens. La précision de Jérémie Rhorer dans son travail sur l’articulation porte ses fruits dans le rendu musical, d’une vitalité pleine de séduction.
Des habitués exprimaient à la fin de la représentation la satisfaction d’avoir découvert l’œuvre. Félicitons donc une fois encore la tutelle de l’Opéra de Toulon Provence Méditerranée pour son soutien à la programmation inventive qui permet à cette maison d’émerger dans le paysage régional.
Maurice Salles