Vingt-deux ou vingt-troisième des quatre-vingt treize opéras que composa Antonia Vivaldi (on s’y perd un peu dans les chiffres), Ercole sul Termodonte a été reconstitué en 2007 par Fabio Bondi à partir du livret de la création romaine de 1723 et de partitions dénichées dans les bibliothèques de Paris, Münster et Turin. Alan Curtis, assisté par Alessandro Ciccolini, s’était livré un peu avant (2006) à un travail similaire pour le Festival dei Due Mondi de Spolète. La production avait fait parler d’elle. Zachary Stains en Ercole y interprétait dans le plus simple appareil sa première aria, l’énergique « Vedra l’empia », avec une aisance qui, compte tenu de la situation, fut saluée par la critique. Un enregistrement DVD de la prouesse, publié par Dynamic, comblera d’aise ceux qui veulent se rincer l’œil en même temps que l’oreille.
Ercole sul Termodonte appartient à une époque où Vivaldi, entre Rome et Venise, alignait sans mal des arie da capo d’une verve mélodique imparable, certains étant comme à l’habitude empruntés à des ouvrages antérieurs (Tito Manlio, Orlando finto pazzo…), juste avant que Métastase n’impose à l’opera seria une autre esthétique.
Le livret s’inspire du huitième ou neuvième des travaux d’Hercule (selon les versions, il fut exécuté avant ou après le nettoyage des écuries d’Augias). Le héros, accompagné des preux Alceste, Thésée et de l’ombrageux Telamone doit ravir sa ceinture à Antiope, la reine des Amazones, une tribu de femmes guerrières qui sévissait au sud de l’actuelle Turquie, sur les rives d’un fleuve appelé Thermodon. Très vite, le combat des armes cède à celui des cœurs. Thésée et Hyppolite, la sœur d’Antiope, tombent dans les bras l’un de l’autre tandis qu’Alceste et Telamone se disputent les charmes de Martesia, la fille de la même Antiope. L’histoire s’achève dans la liesse et les mariages ; Hercule peut passer à l’étape suivante : Geryon, le géant à trois troncs et trois têtes.
Lors de la création, en 1723, à Rome, conformément à l’obligation en vigueur, les rôles, des grecs comme des amazones, étaient tenus par des hommes. Parmi eux, Giovanni Carestini endossait l’armure d’Alceste. Philippe Jaroussky, dans la continuité de son hommage discographique au célèbre Castrat(1), en reprend la cuirasse avec une décontraction à laquelle il ne nous a pas toujours habitué. Libéré, rassuré sans doute par les récentes distinctions qui viennent couronner sa jeune carrière(2), avec une souplesse décuplée donc et une musicalité comme toujours exemplaire, le contre-ténor porte au premier plan un rôle secondaire qui vaut surtout par son air du I, « Sento con qual diletto ».
L’autre « star » de la soirée, Vivica Genaux, n’est pas mieux lotie par la partition dans le rôle d’Antiope. Au contraire de Bajazet à Paris la saison dernière, dans lequel elle volait la vedette à tous ses partenaires, et malgré un abattage certain (l’air « Scendero, volero, gridero » au III, un des fleurons de Cecilia Bartoli), la chanteuse parait moins affirmée, souvent couverte par l’orchestre.
La musique, en fait, réserve la part belle au couple Thésée et Hyppolite, dans lequel Romina Basso et Roberta Invernizzi se taillent l’une et l’autre un beau succès. La première, soutenue par un Fabio Biondi enamouré (qui lui envoie des baisers à la fin de son dernier air), réussit, d’une voix bien projetée, à traduire les accents, tant virtuoses que passionnés, d’un Thésée romantique avant l’heure auquel Vivaldi offre toute la gamme des sentiments. La seconde, si l’on en croit les acclamations, qui accueillent chacune de ses interventions, compte déjà un bon nombre d’admirateurs. Ovations méritées, Roberta Invernizzi possède la technique nécessaire à l’aria di tempesta « Da due venti, un mar turbato », même si c’est dans l’enchantement du « Onde chiare che sussurrate » (plus connu ailleurs sous le nom de « Zeffiretti, che sussurrate ») qu’on apprécie le mieux son timbre fruité et sa sensibilité.
Simplement séduisante l’automne dernier à Parme dans Rigoletto(3), Stefanie Irányi trouve plus à démontrer en Martesia qu’en Maddalena. La partition lui réserve plusieurs interventions notables dans le rôle de la jeune oie blanche écartelée entre Telamone et Alceste. C’est justement quand elle choisit entre les deux guerriers (l’air « Alceste nel piacermi a te prevale ») que la chanteuse met le plus en valeur la qualité de son chant et ses talents de comédienne.
Plus en retrait, l’Ercole solide mais grisâtre de Carlo Vincenzo Allemano, le Telamone de Filippo Adami, auquel un seul air, trop grave pour sa tessiture, ne permet pas de briller, et Emanuela Galli, Orizia ardente dans les récitatifs mais à court d’aigus sinon. Son attaque à nu et au sommet de la portée dans son dernier air,« Cadero ma sopra il vento », tient plus du cri, voire du couac, que de la note.
Désormais incontournable dans ce répertoire, homme orchestre, à la fois au violon et à la direction d’une Europa Galante affutée, Fabio Biondo exhume avec amour une oeuvre dont on attend maintenant avec impatience l’enregistrement(4).
(1) Carestini, The story of a castrato (Virgin)
(2) Lire la brève du 22 janvier 2009
(3) Lire le compte-rendu de Brigitte Cormier
(4) Avec peu ou prou la même distribution, prévue prochainement chez Virgin si nos informations sont bonnes.