Ce sont les quelques mots que me susurre ma voisine de droite – une dame blonde entre deux âges, qui a fait le voyage d’Allemagne spécialement pour le concert – en pâmoison dès la fin du premier air.
Pourtant ce concert ne transportait pas vraiment d’entrée. Il est vrai que l’air de Tebaldo n’est pas le plus intéressant du répertoire bellinien et souffre de l’absence de chœur, mais, surtout, on sent le chanteur péruvien un peu crispé, les aigus sont durcis… On se dit qu’il se chauffe.
Le deuxième air confirme ce léger malaise, les vocalises sont bien exécutées, mais il manque un entrain, un dynamisme, une liberté, indispensables à ce répertoire… Qualités que le ténor possède habituellement et dont il avait fait une démonstration éblouissante quelques semaines plus tôt dans Matilde de Shabran à Covent Garden. Ce soir, le chanteur semble être sur sa réserve et cette prudence s’entendra également dans l’air de la Cenerentola dont la reprise est à peine variée et les incursions dans l’aigus bien rares.
On aura une partie de l’explication à la fin du deuxième air par le chanteur lui-même, s’adressant au public, d’abord dans un français hésitant puis en anglais, indiquant qu’il a des problèmes intestinaux depuis la veille au soir et s’il est ravi d’être sur scène, il n’est pas forcément au mieux de sa forme. Il explique qu’il doit puiser son énergie dans l’orchestre qui l’accompagne…
L’orchestre parlons-en… On l’aura malheureusement beaucoup entendu au cours de cette première partie : rien moins que trois ouvertures… Le Bellini est sommairement exécuté à un train infernal, les Rossini sont d’une lourdeur qui reste sur l’estomac… Cela ne s’arrangera pas en deuxième partie avec une ouverture de la Favorite méconnaissable à force de boursouflures… Et l’on vous passera les détails sur les divers couacs des cuivres… En un mot, à oublier d’urgence !
On en était donc là à l’entracte, un peu frustré… Ce ne sont pas les deux Zarzuelas en début de deuxième partie, peu roboratives, qui allaient calmer notre faim. Los Emigrantes faisant cependant entendre de beaux accents mélancoliques.
La Favorite trouve le chanteur péruvien plus à son aise. Le français est parfaitement intelligible, même si un accent reste perceptible. Malgré encore quelques tiraillements dans l’aigu, on entend enfin la couleur dorée du timbre si reconnaissable, dès que le chanteur ne force pas la voix.
Guillaume Tell, le morceau de choix de la soirée, permet d’apercevoir la jolie petite vaillance du ténor, qui se tire avec les honneurs de l’air meurtrier… Evidemment on pourrait rêver timbre plus viril ou voix plus ample, mais le résultat arrive sans peine à électriser l’auditoire !
Pourtant on n’avait encore rien vu, car encore trois bis nous attendaient.
D’abord une « Furtiva Lagrima » d’une douceur exquise, où l’on retrouve parfaitement ce qu’on admire habituellement chez le chanteur, un timbre ensoleillé, enfin libéré des tensions, une douceur caressante. Puis un petit extrait du Roméo de Gounod, tout à fait dans le style, on sent le chanteur détendu, les aigus sont plus lumineux, la ductilité de la voix est revenue.
En réponse aux applaudissements nourris, le chanteur entame alors un troisième bis, une « Donna e mobile », extrait du Rigoletto qu’il a mis entre parenthèses pour quelques temps après l’expérience mitigée de Dresde. Et là, surprise, l’orchestre conclut son accord final sans que le chanteur ait lancé l’aigu attendu. Juan Diego Florez se tourne alors vers le chef – qui fait mine de s’excuser – et lui dit qu’il ne sera pas payé ce soir… Puis il glisse en confidence au public la « vraie » raison de l’absence du Si naturel : il a étudié l’air avec Riccardo Muti ! Ce n’était évidemment qu’un gag et le ténor reprend le second couplet, concluant sur un Si naturel, superbe d’aisance et de tenue.
Au vu de la fin de concert, je ne peux donc que me ranger à l’avis éclairé de ma voisine. Un Juan Diego en forme et détendu est réellement « ounique » !