La saison lyrique de l’Opéra de Rennes sera marquée par les fantômes et la sorcellerie : avant Macbeth de Verdi et le Château des Carpates de Philippe Hersant, voici donc, pour célébrer Halloween, la création française du Vampire. Sorte de chaînon manquant entre Weber et Wagner, Marschner a composé, d’après la nouvelle de Polidori, une œuvre à son image : novatrice (la partition fait entendre ce qui ressemble déjà à un flux musical continu), frémissante d’une passion échevelée, bouillonnante d’un romantisme ténébreux de la meilleure veine.
On se demande alors pourquoi Zoltan Balazs a transposé l’action dans un Japon imagé. L’épure des décors, l’éclat des costumes (très réussis), le froid hiératisme de la direction d’acteurs, l’appropriation intelligente de l’espace (les choristes, inquiétants, envahissent les loges et les balcons) forment un spectacle esthétique et finement réalisé, qui nous rappelle que Balazs a été l’élève de Bob Wilson. Mais tout cela semble bien peu en phase avec l’esprit d’un opéra qui appellerait tout le contraire : de l’énergie, de la tension, de l’exubérance jusqu’à l’excès. Vouloir révéler la psychologie intime des personnages, par le biais d’un travail d’une précision chirurgicale, est en soi fort respectable ; mais en ne respectant pas la lettre du Vampire, Balazs en trahit également l’esprit, et compose un spectacle bizarre, où tout ce qui se passe sur scène ressemble à la stricte négation de ce que dit la partition.
L’équipe musicale convainc plus franchement. A la tête d’un effectif assez mince (une quarantaine de musiciens, un peu moins de choristes), Olari Elts ne pouvait donner dans le déluge sonore auquel on associe souvent les œuvres romantiques. Il propose alors une théâtralité sèche et nerveuse, dont les angles et les arrêtes ne sont pas moins efficace que les couleurs sombres et opulentes souvent entendues ailleurs, dans ce répertoire. D’autant que sous sa baguette précise et dynamique, l’Orchestre de Bretagne sonne comme rarement : les cordes, bien plus rondes que d’habitude, atteignent presque le niveau des bois et des cuivres, toujours aussi subtils. Le chœur qui, on l’a dit, se retrouve souvent dispersé dans la salle, n’en montre pas moins une excellente cohésion.
Beaucoup des rôles principaux du Vampire étaient tenus par des jeunes chanteurs, finalistes du concours Mezzo, où ils seront jugés sur leurs aptitudes vocales et scéniques*. Le vampire de Nabil Suliman est le plus convaincant : voix claire mais percutante, le jeune baryton syrien compose avec brio un Ruthven inquiétant autant que séduisant. Forte d’un volume appréciable, Vanessa le Charlès n’a aucun mal à faire apprécier les splendeurs d’un timbre moiré ; les aigus restent à surveiller, qui sont souvent pris trop en force. Marc Haffner a tout le legato requis par « Wie ein schöner Frühlingsmorgen », avatar de l’air de Max dans le Freischütz, et Helen Kearns, à la voix quelque peu blanche et éthérée, réussit une belle ballade, au début du II (celle-là même qui, dit-on, inspira à Wagner l’air de Senta dans le Vaisseau Fantôme). Vétéran bienveillant de la troupe, Christophe Fel interprète les trois « pères nobles » de cette œuvre, qui décidemment démultiplie le schéma classique des typologies de personnages dans l’opéra romantique. On admire la clarté de sa diction, et la probité de l’interprète, qualités bien connues du public français. Pari réussi pour l’Opéra de Rennes, qui fait entrer avec succès le Vampire de Marschner au répertoire des salles françaises !
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*Toujours dans le cadre du concours Mezzo, le Vampire sera retransmis sur cette chaîne, en direct de Szeged, le 16 novembre prochain.