Giuseppe VERDI (1813 – 1901)
Un ballo in maschera
Opéra en 3 actes
Livret d’Antonio Somma
Direction musicale : Kirill Karabits
Mise en scène, décors, lumières : Philippe Arlaud
Collaboration aux décors : Inna Wöllert
Costumes : Andrea Uhmann
Chœurs de l’Opéra national du Rhin
Dir. Michel Capperon
Orchestre Symphonique de Mulhouse
Riccardo : Massimiliano Pisapia
Renato : Carlos Almaguer
Amelia : Barbara Haveman
Ulrica : Elena Manistina
Oscar : Hye-Youn Lee
Silvano : David Grousset
Samuel : Oliver Zwarg
Tom : Fernand Bernadi
Le Juge : Dominic Burns
Un serviteur d’Amelia : Jian Wang
Nouvelle production
Strasbourg, Opéra, 19 octobre 2008
Un parti pris inabouti
C’est une vision originale que propose l’Opéra National du Rhin pour cet ouvrage d’un Verdi entre deux eaux, plus tout à fait celui de la trilogie Rigoletto–Traviata–Trovatore mais pas encore celui de la maturité des Don Carlo et Otello. Ouvrage attachant malgré tout, justement du fait de cette « mutation » de l’écriture tant vocale qu’orchestrale.
Vision originale donc en ce sens qu’elle se fonde sur le travestissement, non pas seulement pour le bal lui-même mais pour tout l’ouvrage. Ainsi, les personnages apparaissent d’emblée comme portant un déguisement : Riccardo est déguisé en un Roi désinvolte qui ne se prendrait pas au sérieux quand Oscar, tout de jaune vêtu, est lui, une sorte de canari chantant. Les membres de la Cour sont vêtus de costumes tout aussi colorés… mais un peu trop peut-être (tout cela « flashe » beaucoup).
Les seuls personnages qui semblent échapper à cette distanciation sont Renato et Amelia. Lui en costume militaire (qui sent cependant un peu trop le déjà vu) et elle, plus sobre, dans d’élégantes robes. Ils semblent en effet les seuls personnages à ne pas vivre dans le divertissement, à avoir davantage les pieds sur terre : lui, toujours à l’affût du danger tandis qu’elle, d’emblée, cherche à se détacher d’un amour honteux et invivable. Ils évoluent dans ce monde coloré auquel ils semblent ainsi étrangers. Pour le bal lui-même, les costumes se font noir et gris à l’exception de masques volontairement proches du ridicule (semblant sortir d’un cartoon de Tex Avery) : la chute que constitue l’assassinat de Riccardo en devient d’autant plus impressionnante, tous tombent de haut et il est à penser que cette société superficielle ne sera plus du tout la même après cet épisode.
Mais le thème du travestissement s’immisce aussi dans les autres tableaux. Dès le Prélude, on assiste ainsi à une sorte de défilé de mode tandis qu’Ulrica devient la responsable d’un atelier de costumes, costumes que l’on découvrira pendus depuis les cintres pour le tableau du gibet.
Cette vision, fondée sur la métaphore et amenuisant l’aspect politique, si elle est intéressante, ne nous a malgré tout pas semblé totalement aboutie du fait d’un mélange des genres parfois maladroit et qui, finalement, gâche l’ensemble : on ne sait plus trop si l’on doit rire ou prendre au sérieux tout cela. Etait-il ainsi utile qu’Ulrica soit faite prisonnière par les conspirateurs puis traînée avec eux au tableau du gibet pour finir abattue d’un coup de pistolet ? De même, Renato, Samuel et Tom ont-ils besoin de se couper les veines et de boire leur sang ainsi recueilli dans une urne ? Enfin, est-il nécessaire que Renato tire une première fois puis, quelques instants plus tard, une seconde fois sur Riccardo ? La fusillade finale sur des convives est elle carrément de trop et incompréhensible. Bref, on est parfois dans le kitsch et le too much ce qui enlève à la vision de Philippe Arlaud sa cohérence.
A noter, l’intelligent décor fait de structures mobiles, très bien éclairées, qui permettent d’isoler un groupe de personnages, notamment pendant le bal ou pour certaines scènes plus intimes.
C’est le jeune chef Kirill Karabits – connu ici pour avoir souvent dirigé le Philharmonique de Strasbourg en concert et dans la fosse (Eugène Oniéguine) – qui officiait à la tête d’un Orchestre Symphonique de Mulhouse dans son élément : rondeur et beauté du son étaient sensibles. Tout étant fort attentif aux voix, Karabits gratifie la partition d’un grand soin dans les sonorités et d’une urgence dramatique fort bienvenus. Les finales allègres sont ainsi particulièrement réussis. L’osmose avec les chanteurs et l’orchestre semble avoir été totale.
Toscanini affirmait que pour réussir un Trovatore, il « suffisait » de réunir les quatre plus grands chanteurs du monde. On n’est pas loin des mêmes exigences pour Un Ballo in maschera dont au moins trois rôles (Riccardo, Amelia, Renato) réclament également des pointures. Nous sommes proches d’une grande réussite avec la distribution réunie ici.
Le Riccardo de Massimiliano Pisapia est dotée d’une fort belle voix de ténor, claire et franche, dont on apprécie un aigu lumineux, puissant et à vrai dire superbe. Le medium et le grave sont plus légers, ce qui ne lui permet pas de chanter les Do graves dans la chanson de marin « Di’ tu se fedele » (que seul Domingo fait à notre connaissance) mais cela enlève peu à la réussite du chanteur qui se montre par ailleurs stylé (quand il abandonne les notes prises par en dessous, un peu trop présentes en début de soirée) et nuancé (apport non négligeable de mezza voce dans certaines reprises).
Du style et des nuances, c’est peut-être ce qui manque un peu au Renato de Carlos Almaguer dont la voix impressionne par sa puissance et sa largeur. Le chanteur n’hésite pas à rajouter quelques aigus traditionnels, malgré un Sol aigu un peu mat. La stature, l’investissement, la voix en imposent : on gagne en efficacité ce qu’on perd en finesse, mais ne boudons pas trop notre plaisir devant un baryton aux moyens intrinsèquement si étonnants.
Totalement réussie est par contre l’Amalia de Barbara Haveman. Le timbre est superbe, la voix est longue (et Dieu qu’il le faut pour ce rôle terrible !), les aigus sûrs et puissants. L’artiste est par ailleurs sensible et engagée quand il le faut et rend toute sa dimension à ce personnage torturé et passionnant. On est comblé tant dans les arias que dans les duos ou ensembles.
L’Ulrica de Elena Manistina vient de l’Est et cela s’entend ! Grande voix, large et sonore, passant sans problème du grave à l’aigu comme le réclame sa partie, rien à reprocher.
On doit par contre avouer que nous avons été un peu déçu par Hye-Youn Lee qui nous a si souvent emballé ici (notamment pour une superbe Lucia di Lammermoor). Tout est en place, toutes les notes sont là, mais il manque quelque chose : des vocalises plus précises et « faciles », une plus grande malice, un investissement supplémentaire ? La chanteuse nous a paru relativement transparente et pas aussi rayonnante que nous l’avons connue. Dommage.
Seconds rôles soignés (hormis peut-être un Silvano un peu vert) et très bon chœur (quoiqu’un peu trop sonore à la fin du premier acte par exemple) complètent agréablement la distribution.
Au final, un Bal curieux, parfois excessif dans ses partis pris, mais qui comble par des voix superbes dont le plaisir de chanter est contagieux.
Pierre-Emmanuel Lephay
Prochaines représentations :
Strasbourg, Opéra : 26 oct. 15h ; 28, 31 oct. et 2 nov. à 20h.
Mulhouse, Filature : 9 nov. 15h et 11 nov. 20h.
Renseignements : operanationaldurhin.fr