Reprise de la production de la création aixoise de l’été dernier, ce sixième opéra de Dusapin constitue une merveille de plus à l’actif de ce compositeur.
Conçu comme un hommage à l’opéra de Monteverdi, l’action se résume à une rencontre entre Lei (Elle) et Lui (Lui), les autres intervenants ponctuels étant Gli altri (les autres). Le thème de la relation amoureuse, avec ses aléas, et de l’incommunicabilité entre les amants donne lieu à un dialogue poétique où les personnages semblent se chercher sans jamais se trouver réellement : elle est seule en scène au lever de rideau, elle semblera esseulée à la fin de l’ouvrage. Entre ces deux moments, les amants s’approchent, se repoussent, s’éloignent, se quittent, se retrouvent… comme une immense métaphore du lien amoureux, avec un certain pessimisme malgré tout puisque jamais les amants ne s’étreignent, contrairement à ce que pourrait laisser penser le titre.
C’était une gageure de tenir une heure trente avec une pareille « non-action », et Dusapin relève le défi brillamment avec une partition d’une délicatesse et d’une finesse prodigieuse. Discours éthéré, climat statique et onirique, sonorités diaphanes, l’auditeur se retrouve en véritable lévitation durant presque tout l’ouvrage, comme flottant en dehors du temps et de la réalité (comme l’amour-passion ?…). L’orchestre de chambre distille des sonorités d’une beauté et d’un raffinement qui tiennent du prodige. L’apport discret et subtil de l’électronique, les sonorités délicates du clavecin (magnifique première « cadence » notamment), de la harpe ou du oud arabe apportent la variété indispensable au statisme de l’action.
La mise en scène de Giuseppe Frigeni ne cherche pas à meubler : les personnages bougent peu et lentement, ils évoluent dans un beau décor dont les murs semblent aussi fragiles que ne l’est la relation des amants (et la musique). Une sorte de diapason enserrant un rond, un filet d’eau à l’avant-scène, des branchettes plantées par Les Autres ornent le plateau. On ne cherche pas à trouver une signification à tous ces symboles tant ils participent à l’impression de vivre un rêve, d’être détaché du matériel pour se concentrer sur l’humain. Et si l’opéra de Dusapin est un hommage à l’opéra monteverdien, nous n’avons pour notre part pu nous empêcher de penser à Pelléas à Mélisande, un autre drame de la passion…
Les deux rôles principaux sont admirablement tenus. Lui, c’est le baryton Georg Nigl, dont le beau timbre doux et le legato font merveille. Il maîtrise également parfaitement les phrases en voix de contre-ténor exigées par sa partie. Elle, c’est la somptueuse Barbara Hannigan, timbre superbe, chant évanescent parfait, elle arrive à émettre avec la plus grande douceur les nombreux aigus (si ce n’est suraigus) de sa partie. Les deux chanteurs forment un « couple » élégant et leur voix s’accordent merveilleusement.
Autour d’eux, les Autres sont campés par des membres de l’Ensemble Musicatreize dont on pourra regretter un manque d’homogénéité. L’Orchestre de l’Opéra de Rouen Haute-Normandie reprend brillamment le flambeau de l’Ensemble Modern qui créa l’œuvre. Très belle tenue des instrumentistes et superbe direction de Franck Ollu, d’une précision et d’une attention aux chanteurs permanentes.
On reste vraiment sous le charme de cette partition onirique en total contraste avec l’opéra de Wolfgang Miterrer, Massacre, donné la veille dans le cadre du festival Musica. Les hurlements des voix et de l’électronique agressant continuellement l’oreille furent un vrai supplice, qui plus est dans une partition peu passionnante. Ce soir au contraire, douceur et discours captivant, où la passion laisse le pas à l’émotion…