Forum Opéra

Centenaire d’Ettore Bastianini : « Même si l’on m’offrait un trône, je le laisserai tomber pour chanter »

arrow_back_iosarrow_forward_ios
Partager sur :
Partager sur facebook
Partager sur twitter
Partager sur linkedin
Partager sur pinterest
Partager sur whatsapp
Partager sur email
Partager sur print
Actualité
24 septembre 2022
Centenaire d’Ettore Bastianini : « Même si l’on m’offrait un trône, je le laisserai tomber pour chanter »

Infos sur l’œuvre

Détails

Ce 24 septembre, Ettore Bastianini aurait eu 100 ans. Fêtons cet anniversaire à travers quelques-uns des rôles conquis de haute voix le long d’une carrière qui débuta en 1945, si l’on considère la basse chantante qu’il fut dans un premier temps avant de s’imposer en 1951 à Bologne comme le baryton-Verdi de sa génération. Rapidement invité à la Scala, il sera Germont en 1955 aux côtés de Maria Callas dans la Traviata légendaire mise en scène par Luchino Visconti. 


La Traviata – avec M.Callas – 1955 – Milan © DR

La rencontre, impérissable,  avec une des plus splendides clés de fa au monde, peut se faire à travers un des nombreux CD qu’il a laissés à la postérité…

Premier air, « Nemico della patria » d’Andrea Chénier de Giordano. Son Carlo Gérard répand des eaux sonores galvanisantes, torrentielles. La chaleur sauvage du timbre est domptée dans un legato strict, le rire court fouette, la consonne éclate, appui de sa passion immense pour Maddalena. Et lorsque dans la peine, Bastianini chante avec abandon, alors l’airain se fait velours. Pile et face, autorité et tendresse, contraste immédiatement fascinant dans cette voix de géant.


Carlo Gérard dans Andrea Chénier – New York – 1960 © DR

En revanche, point d’abandon chez son Don Carlo di Vargas dans « Morir ! Tremenda cosa! …Urna fatale del mio destino » de La Forza del Destino. Le récitatif est de virilité cinglante. La cavatine a la noirceur et la dureté d’un marbre. L’esprit de vengeance du fils de Calatrava habite le chant de notre baryton. Si au premier rendez-vous la vibration de cette voix chamboule, au second les merveilles de sa technique d’interprétation bouleversent. Flammes du slancio, infinité du souffle dans le cantabile de la cavatine – andante sostenuto extrêmement lent –, flexibilité belcantiste des ornements et cadence dans ce timbre si dense, si ample, aigus moelleux et pleins. Une diction ronde et percussive pour une langue italienne majestueuse. Enfin, un phrasé qui fait battre intensément le cœur du drame verdien.

Troisième morceau, le seul buffo de la vie d’Ettore, semble-t-il, mais de la plus belle espèce ! Son Figaro rossinien est d’émail étincelant, de radicale agilité. Dans ce « Largo al factotum » d’Il Barbiere di Siviglia, il mord à pleines dents dans la consonne, déborde d’harmoniques chatoyants. Une secousse vivifiante !

Puis vinrent ces flashes d’éternelle poésie « bastianinienne », nuits sur Youtube…
« C’è nella voce di Bastianini una patina di dolente malinconia » dit Giancarlo Landini, sur le site de l’Associazione Internazionale Culturale Musicale Ettore Bastianini. Douloureuse mélancolie de son Rigoletto de 1960, plus pathétique qu’en 1957. Dans « Cortigiani, vil razza dannata », voyelles « a » traînantes, imprégnées des sanglots du vegliardo (vieillard). « Voce che entra nell’anima » a dit de lui Magda Olivero ; voix de l’âme qui entre dans l’âme.


Rigoletto – 1962 – Milan © DR

Le timbre de notre baryton flirte constamment avec la basse, attrait puissant, particulièrement présent chez son Renato du Un Ballo in Maschera verdien ; de cuirasse d’intransigeance à désintégration dans le désespoir, son incarnation de l’époux humilié est à son apogée dans « Alzati, là tuo figlio…Eri tu che macchiavi ».


Un Ballo in Maschera – avec A.Stella – 1956 – Milan © DR

Don Carlo de Verdi, « Per me giunto è il di supremo…O Carlo ascolta » : morbidezza absolue de la ligne, flux de son insondable tristesse devant la mort, le Posa de Bastianini a le doux brillant d’une soie brune, la liquidité d’un miel sombre. Terrible ironie du sort, le 11 décembre 1965 à New-York, condamné par un cancer du larynx qu’il a caché à tous, il sera Posa pour l’ultime représentation de sa carrière…


Marchese di Posa dans Don Carlos – 1956 – Milan © DR

Trombes de fureur, tempête de méchanceté, déluge de jalousie vengeresse en Conte di Luna ; quelle prestance, quel magnétisme dans cette vaillance insolente, comme si elle contenait toute la puissance de sa Porsche rouge ! Et même si ce Luna sait faire son sentimental dans le cantabile « Il balen del suo sorriso », indiscutablement nous lui préfèrons son côté tranchant.

Rolando et Arrigo dans  La Battaglia di Legnano, « Il Re Malinconia » : Bastianini et « Le Prince Triste » Franco Corelli selon Sylvain Fort : voix capitales, parfums capiteux, aristocratie du chant italien des années 1950. Les deux chanteurs furent très souvent partenaires à la scène. Franco avait une grande admiration pour son ami Ettore et en parle dans le livre de Marina Boagno, « Franco Corelli, un uomo una voce ».


La Battaglia di Legnano – répétition avec F.Corelli – 1961 – Milan © DR

Verdi a tout dit en écrivant un triton (fa-si) entre l’orchestre et la première note chantée par Germont père dans son entrevue avec Violetta. Triton, intervalle nommé « diabolus in mùsica », représentant le Mal, l’interdit dans l’histoire de la musique. Germont est le diable dans la musique d’amour entre son fils Alfredo et Violetta. Par Bastianini, c’est aussi la « voce di bronzo e di velluto » (Giulietta Simionato), bronze de l’inflexibilité, de la morale implacable de cet homme détestable, mais velours de l’écriture verdienne de La raviata, spleen ineffable, tragique, coulé dans les notes de chaque personnage.

Verdien (il y aussi Ernani, Aïda, Nabucco, Otello), puccinien (Bohème, Tosca, Tabarro), vériste (Cavalleria rusticana, Adrienne Lecouvreur, Pagliacci, Gioconda), donizettien (Favorita, Lucia di Lammermoor, Poliuto) – liste non exhaustive… En vingt ans de carrière, Ettore Bastianini nous a tout donné de sa voix. Refusant de se faire opérer lorsqu’on lui a diagnostiqué un cancer du larynx en 1961, il choisit de continuer de chanter. Tout son amour pour son art est résumé dans sa phrase : « Se anche mi offrissero un trono, lo trascurerei pur di cantare » (Même si l’on m’offrait un trône, je le laisserai tomber pour chanter).

Commentaires

VOUS AIMEZ NOUS LIRE… SOUTENEZ-NOUS

Vous pouvez nous aider à garder un contenu de qualité et à nous développer. Partagez notre site et n’hésitez pas à faire un don.
Quel que soit le montant que vous donnez, nous vous remercions énormément et nous considérons cela comme un réel encouragement à poursuivre notre démarche.

Infos sur l’œuvre

Détails

Nos derniers podcasts

Nos derniers swags

Dans les profondeurs du baroque
CDSWAG

Les dernières interviews

Les derniers dossiers

Zapping

Vous pourriez être intéressé par :

Portrait suivi d’un compte rendu de La Belle Meunière à Londres ce 8 novembre, d’une discographie et de divers entretiens.
Actualité
L’impact des technologies numériques sur le chant lyrique est un sujet à débats qui reflète la rencontre entre la tradition de l’opéra et les innovations technologiques de notre époque.
Actualité
[themoneytizer id="121707-28"]