Flûtiste, chef de chœur et d’orchestre, directeur de conservatoire, directeur artistique de festival, baroqueux passionné, Jean-Marc Andrieu est un travailleur infatigable aux multiples casquettes. Il se lance dans un ambitieux projet de redécouverte d’un opéra méconnu – et en occitan – du narbonnais Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville, Daphnis et Alcimadure, à l’occasion du 250e anniversaire de la disparition du compositeur. Interview à la veille de la Première à Montauban, samedi 1er octobre à 20h30 au Théâtre Olympe de Gouges, en ouverture du festival Passions Baroques avant deux représentations au Théâtre du Capitole de Toulouse mercredi 12 et jeudi 13 octobre à 20h.
Daphnis et Alcimadure a été crée en 1754, un an après Titon et Aurore, en pleine querelle des Bouffons. Dédicacé à la Dauphine, Marie-Joseph de Saxe, qui vient tout juste de donner naissance au Duc de Berry, futur Louis XVI, l’œuvre obtient un joli succès à l’époque et pourtant ne sera plus rejouée avant aujourd’hui, comment avez-vous redécouvert cette partition ?
Mon ami le musicologue Jean-Christophe Maillard – grand spécialiste de la musette de cour – a dressé le catalogue des fonds musicaux anciens de plusieurs bibliothèques, dont celle de Toulouse. C’est lui qui a attiré mon attention sur cet ouvrage il y a une trentaine d’années. Avec mon orchestre, nous en avons déjà interprété de larges extraits à la fin des années 1990 invités par Jean-Jacques Cubaynes, sensible à la culture occitane, au festival Déodat de Séverac à Saint-Félix-Lauragais. Au congrès mondial d’Occitanie à Toulouse, une seconde représentation a rencontré à nouveau le succès du public, suscitant l’envie d’une version plus élaborée mise en scène par le chorégraphe Andy de Groat en résidence à Montauban dans les années 2000 avec des décors de Bob Wilson. Malheureusement, les changements politiques ont sonné le glas du projet qui n’a pas abouti. Nouveau contretemps avec la pandémie qui a vu l’annulation d’une production à Narbonne – ville natale du compositeur – dans le cadre du festival de Radio-France. Aujourd’hui, trois soirées sont programmées à Montauban et Toulouse, je croise les doigts et serai heureux quand je baisserai les bras après le dernier accord !
On peut dire que vous êtes un homme obstiné ! Quels sont les points forts de cette partition ?
D’un point de vue vocal, le premier point fort est un italianisme induit par la langue occitane, une vocalité naturelle avec des mélodies très attachantes, très expressives. Un art de Mondonville pour créer des ambiances prenantes et plaisantes.
Musicalement les danses sont particulièrement rythmiques et très réussies. D’autre part, les parties de violons sont spécialement intéressantes et riches. Mondonville était lui-même un violoniste virtuose. Le fac-similé de l’époque fait – comme souvent – l’économie des parties intermédiaires que j’ai reconstituées. Je me suis toutefois inspiré des parties d’alto du prologue, conservées à la bibliothèque d’Agen.
C’est un travail que vous appréciez ?
Tout à fait, cela permet de bien rentrer dans l’œuvre, de s’imprégner de l’écriture du compositeur.
Quels défauts trouveriez-vous à cet ouvrage ?
Le livret est sympathique mais un peu léger. Il s’agit d’une pastorale crée à partir d’une fable de la Fontaine : le berger Daphnis est fou d’Alcimadure, une coquette de village éprise de liberté qui le dédaigne. Jeanet, frère de la belle, tente de la convaincre qu’il est le bien-aimé idéal. Le loup qui terrorise le village s’en mêle…
Quelles sont les difficultés lorsque l’on monte une œuvre comme celle-là ?
La principale difficulté est la langue occitane que les chanteurs ne pratiquent pas régulièrement. Elodie Fonnard (Alcimadure, soprano), François-Nicolas Geslot (Daphnis, haute-contre) Fabien Hyon (Jeanet, taille) et Hélène Le Corre (Clémence Isaure, soprano) ont travaillé avec Muriel Batbie-Castell, chanteuse et professeure d’occitan. Ceci dit, l’occitan est proche de l’italien, terre familière pour les artistes avec l’absence de nasalisation, la stabilité des voyelles…
Quel est votre plus grand plaisir avec cette œuvre ?
Voilà une belle question… Rendre cette musique vivante et expressive, retrouver cette énergie de Mondonville dont je ressens qu’il devait être un homme extrêmement actif et énergique.
Le plaisir c’est celui de partager cette partition méconnue, écrite un an après Titon et Aurore, dans la même veine et qui rivalise presque – je prends la précaution de dire presque – avec Rameau.
Qu’est ce qui a soufflé à Mondonville l’idée de cette pastorale occitane ? Est-ce une manière de faire un pas vers les Italiens dans le cadre de la querelle des bouffons ?
Le compositeur bénéficiait, dans son entourage, à Versailles, de trois chanteurs célèbres pratiquant l’occitan : Marie Felt, soprano bordelaise, l’incomparable Jélyotte qui était de Pau et Latour qui était toulousain. Les côtoyer a dû lui donner l’idée de les faire chanter ensemble dans leur langue maternelle. Mondonville a peut-être également voulu imiter Mouret dont l’une des entrées des Fêtes de Thalie est chantée en provençal.
Les représentations de Montauban et Toulouse sont le fruit d’une coproduction avec le chœur de chambre Les Eléments de Joël Suhubiette, il s’agit d’un compagnonnage de longue date ?
Oui, nous avons chanté ensemble dans les années 1970 dans le chœur d’Alice Bourbon à Toulouse – voilà qui ne nous rajeunit pas ! – et sommes amis depuis très longtemps. Je fais spontanément appel à lui lorsque j’ai besoin d’un chœur et lui, de même si il a besoin d’un orchestre. Un ami sur scène et dans la vie, dont j’admire beaucoup le travail. Nous avons déjà gravé quatre ou cinq disques ensemble et cela a toujours été merveilleux.
Vous êtes chanteur, baryton aigu, flûtiste à bec de formation, quand avez-vous basculé vers la direction de chœur et d’orchestre ?
Pour ce qui est du chœur, j’ai fait mes premières armes assez rapidement, dès le début de ma carrière en 1983-84, lorsque j’ai monté un chœur avec des amis, des professeurs du Conservatoire de Toulouse. Il faut dire que ma mère était cheffe de chœur et professeure de musique !
Avec un tropisme pour l’esthétique baroque ?
Pas uniquement, même si ma formation en flûte à bec – notamment au conservatoire d’Amsterdam – m’a initié à ce répertoire très riche à cette période, comme à celui de la Renaissance. Ceci dit, le répertoire contemporain pour la flûte est tout aussi passionnant !
Pour ce qui est de l’orchestre, je rêvais effectivement de monter les Messes Brèves de Bach et pour cela, il me fallait un orchestre. J’ai recruté des musiciens intéressés dans les couloirs du Conservatoire de Toulouse pour ce premier concert sur instruments modernes avant de basculer sur instruments anciens en 1991 lorsque j’ai pris la direction du conservatoire de Montauban et que la ville a accepté d’accueillir l’orchestre en résidence. Nous étions alors la seule phalange baroque de la région. J’ai alors arrêté la direction de chœur parce que c’était trop dense et que j’avais un relais de qualité avec le chœur de chambre des Eléments.
Les Passions, orchestre baroque de Montauban ont 36 ans, quels sont les enjeux, défis pour une structure de cet age ?
Actuellement nous sommes dans une période difficile de réduction des subventions de nos partenaires institutionnels. Les enjeux sont donc majeurs puisqu’il s’agit de savoir si nous allons pouvoir continuer d’exister après le projet de Daphnis et Alcimadure dans lequel nous nous sommes beaucoup investis.
De 2003 à 2011 vous organisiez une saison à Toulouse, puis désormais le Festival Passions Baroques à Montauban et en Tarn-et-Garonne dont vous êtes fondateur et directeur artistique. Que vous apporte cette activité complémentaire de votre travail de chef ?
Difficile d’avoir une réponse originale à cette question, l’objectif est avant tout de faire découvrir un répertoire, surtout de partager des émotions musicales avec le public. Et la période baroque nous réserve encore de magnifiques surprises.
J’y ajouterai le souci de participer à l’attractivité de ma ville avec des festivaliers qui viennent d’assez loin et enfin le plaisir de faire découvrir aux auditeurs de jeunes artistes.
Effectivement, vous avez été directeur du conservatoire de Montauban pendant trente ans, la jeunesse vous tient donc à cœur.
Bien entendu, nous avons beaucoup travaillé en direction des scolaires avec des intervenants dédiés et créé il y a quatre ans des classes à horaires aménagés pour la voix avec un projet de Maîtrise. Je suis maintenant à la retraite, le projet n’est désormais plus dans mes mains. J’ai beaucoup d’empathie pour les directeurs de conservatoires aujourd’hui car l’âge d’or est derrière nous…
Pour terminer, avez-vous un rêve, une envie pour les prochaines années ?
Je me régale chaque jour de faire un métier que j’aime et les envies ne manquent pas : diriger la Messe en Si de Bach, une œuvre fantastique qui me tient à cœur, avec laquelle j’ai découvert le chant choral ; créer les Motets de François Giroust, l’un des derniers maître de chapelle de Louis XVI et continuer à redécouvrir le formidable répertoire lyrique du XVIIIe siècle qui recèle encore bien des trésors méconnus.