Dans sa récence critique du disque, Charles Sigel déclarait : « c’est une version marquante de Il Ritorno d’Ulisse in Patria grâce à son maître d’œuvre, Stéphane Fuget, qui part de cette constatation que Monteverdi, dont c’est l’avant-dernière œuvre, a fait le tour de tous les possibles au long de ses presque soixante années d’écriture et juxtapose là les styles d’écriture musicale les plus divers ». Voici cinq questions au chef d’orchestre sur l’œuvre qu’il vient d’enregistrer.
S’il fallait mettre une série de mots, d’épithètes, sur votre lecture du Ritorno, quels seraient-ils ?
Passionné, déclamatoire, engagé, émouvant, à fleur de peau, riche, coloré, urgent (l’histoire débute en pleine crise, Pénélope craignant de se faire violer et tuer par les prétendants).
Le genre opéra a bien évolué depuis L’Orfeo. Quelles sont les nouveautés que présente Il Ritorno ?
L’orchestre s’est réduit – disons environ la moitié d’Orfeo. Car on n’est plus dans l’opéra d’une cour voulant marquer sa puissance. Les ensembles madrigalesques ont presque tous disparu, même si le chœur à la fin et les trios des prétendants par exemple en sont des restes. Les échanges entre les personnages sont beaucoup plus rapides, le récitatif est donc très vif en général, exception faite des monologues.
Une gageure est de s’aventurer en des terres hostiles, linguistiquement. À quel point maîtrisez vous l’italien tel qu’il est utilisé dans le livret ?
Il y a longtemps que je navigue dans les opéras italiens, et spécialement ceux du 17e siècle, à la poétique si particulière. Je m’y repère plutôt bien. Au point de pouvoir apprendre même à quelques italiens un sens oublié. La fameuse phrase « maturano il destin le sue dimore » dans Ulysse par exemple, n’est pas compréhensible d’emblée sans quelques connaissances anciennes… Maturare, dans le sens d’adoucir, et dimora, ce qui retarde, et non la maison comme on pourrait le penser a priori… Pour se moquer gentiment, une amie italienne me dit toujours que je parle italien comme dans un vieux livre !!
Une autre gageure est de distribuer tant de ténors.
C’est en même temps la joie de chercher des caractères, des voix si différentes. Car chaque personnage porte sa propre énergie, et il est passionnant de trouver l’interprète qu’on imagine dans un rôle.
Nous donneriez-vous quelques éléments de votre future Poppée?
C’est peut-être l’opéra que j’ai le plus fait en tant que chef de chant… Je peux le chanter ex abrupto en entier.
Le travail sera d’abord de choisir entre les deux versions manuscrites existantes. Orfeo et Ulisse ne sont que dans une seule source. Il suffisait de la suivre en entier. Là, tout est à construire. Difficile de choisir l’une ou l’autre. Même si Naples est plus séduisante pour moi, elle est extrêmement longue. Il va falloir faire des choix… Voilà pour la partition. Après, côté interprétation, Poppea est tellement épidermiquement sensuelle… On va tout faire pour que l’auditeur ait les poils dressés en permanence !