Ce qui fait le plaisir de ce disque, c’est son naturel, on allait dire sa fraîcheur. Sa jeunesse.
La voix est limpide, agile, ses aigus sont faciles et légers, les vocalises coulent comme une eau claire, les phrasés ont l’évidence qu’il faut, mais surtout Julie Roset a la grâce de chanter cet Haendel avec une manière de candeur, de lumière ingénue.
Le swing alarconien
En guise d’ouverture, on entendra un Concerto a 5 fabriqué par Haendel – ou par quelque copiste – à partir de deux pièces orchestrales recyclées, en tout cas brillantes et euphorisantes, et jouées avec le swing alarconien, par un Millenium Orchestra dont les trompettes scintillent sur des cordes vibrionnantes. Un ultime accord non résolu ouvrira la porte au Salve Regina et au charme de Julie Roset.
© Gabriel Balaguera
Ce Salve Regina HWV 241 fut commandé par le cardinal Colonna pour les Carmélites de la basilique Santa Maria in Montesanto. Le séjour en Italie d’Haendel, d’une importance capitalissime dans son évolution, se situe entre 1706 et 1711. Il a déjà connu des succès à l’opéra en Allemagne (Almira, 1705) et visitera Naples et Venise pour s’inspirer de la manière italienne, mais surtout séjournera longuement à Rome, où bien sûr il n’est pas question d’opéra. Qu’importe, Haendel se consacrera à des cantates profanes, mais aussi à la musique religieuse, laissant de côté pour un temps et sans états d’âme son protestantisme.
Innocence et ferveur
On sera séduit d’emblée par la piété tendre de ce Salve Regina d’une économie de moyens étonnante et par l’interprétation qu’en donne Julie Roset : des notes non vibrées, suaves et acidulées en même temps, posées sur des batteries de cordes qui sonnent très Vivaldi. Il y a là une lumière de matin radieux, une sentimentalité naïve qui touchent au cœur.
On aime le ravissant rallentando du Ad te clamavi, avec des portamenti, des sauts de notes, une manière de chanter non pas en cantatrice, mais comme pouvaient le faire les chastes Carmélites au cours de leurs dévotions quotidiennes.
Le Eia ergo, sur un tempo rapide, jubile comme une ariette d’opera buffa, et s’orne de colorature qui dialoguent avec un orgue tout aussi joyeux, celui d’Adria Gracia Galvez, comme pour mettre en relief par contraste le O Clemens et sa mélancolie en ut mineur.
Un O Clemens qui commence dans les sommets de la tessiture pour descendre ensuite par une élégante volute vers le plus grave de la voix, en gardant une manière d’innocence touchante pour s’achever sur un diminuendo fervent d’une désarmante simplicité.
Volutes baroquissimes
Pendant longtemps, on douta que le Gloria (sans n° d’opus) fût bien une œuvre d’Haendel. Les musicologues aujourd’hui l’affirment avec certitude. Certains la disent de 1706, donc avant le départ pour l’Italie, et pourtant elle est à l’évidence déjà d’un style des plus italien.
C’est une pièce brillante en six parties. Des vocalises en guirlandes acrobatiques du Gloria initial et de celles, encore plus ébouriffantes, du Quoniam tu solus sanctus, Julie Roset ne fait qu’une bouchée, sans que cela tourne à une démonstration de virtuosité extravertie : au contraire, au milieu de ces volutes baroquissimes qui donnent le tournis, elle garde cette sonorité candide, cette fraîcheur de timbre, ce rayonnement juvénile qu’on aime chez elle.
Un In terra pax en lévitation, l’allégresse gamine du Laudamus te, qu’interrompt un tendre Gratias, la simplicité aérienne (toujours sans vibrato) du Domine Deus, les notes de tête lumineuses du Qui tollis, tout cela balise une trajectoire radieuse. En arrière-plan du tableau, la chaude palette d’une orchestration sans cesse inventive.
© Gabriel Balaguera
Le motet Silete Venti HWV 242 est plus tardif. Composée en 1729, alors qu’Haendel mettait à profit un court voyage en Italie pour recruter de nouveaux chanteurs qu’il ferait venir à Londres, cette pièce en cinq parties d’esprit archi-italien (et qui n’est pas sans faire penser elle aussi à Vivaldi) joue la carte de l’agilité, en une manière d’air de concert. Selon la coutume du temps, Haendel recupère ici aussi d’anciennes œuvres de lui. Et il enchaîne les difficultés mettant en valeur la maestria de l’interprète et dont Julie Roset se joue sans problème – voir les notes hautes éthérées du Dulcis amor, les colorature insouciantes du Date Serena ou de l’Alleluia final, dont certaines envoyées parfois avec une verdeur gentiment insolente…
Deux extraits d’oratorios complètent ce choix : le jubilant Praise the Lord, extrait d’Esther (1732) où la voix rivalise de brio avec une harpe très en verve, celle de Marie Bournisien.
Et c’est l’occasion de dire que ce récital ne serait pas ce qu’il est sans les couleurs du Millenium Orchestra, la nervosité de l’articulation et l’alacrité des tempis choisis par Leonardo García Alarcón, qui respire à l’unisson de la chanteuse, et semble ici ou là, en accord avec elle, vouloir arrêter le temps.
Justement le disque prendra congé avec un air issu de l’oratorio Il Trionfo del Tempo e del Disenganno, composé en 1707. On y entend la Beauté renoncer à sa vie de plaisirs et se tourner vers la Sagesse. Julie Roset y dialogue avec le violon d’Yves Ytier dans un échange comme suspendu pour en arriver jusqu’au silence, un silence doucement méditatif, comme les aime le chef argentin à la fin de ses concerts.
© Gabriel Balaguera