Est-il normal de commencer la recension d’un album solo par le chef ? Certes non, mais la radicalité des options choisies par celui-ci oblige à un tel sacrilège. On a dit assez souvent dans ces pages les immenses mérites de Marc Minkowski, son rôle dans la redécouverte de Rameau, son dynamitage salutaire de Gluck ou le feu qu’il insuffle avec tant de justesse dans Haendel ou Haydn. C’est avec autant d’amertume qu’il faut constater que dans Rossini ses qualités se transforment en défauts, et ceux-ci sont rédhibitoires. La vitesse devient précipitation, avec une absence de sens qui transforme une musique légère en pochade insignifiante. Les adversaires de Rossini seront confortés dans tous leurs clichés à l’écoute de cet album. Le sens du rebond devient agitation et absence de phrasé, avec une tendance nette à pinailler sur des détails mais à laisser l’orchestre totalement à découvert lorsqu’il s’agit de modeler le propos. C’est d’autant plus regrettable que l’Orchestre national de Bordeaux Aquitaine est une des plus belles phalanges de la scène francaise actuelle, et qu’elle offre au chef un matériau d’une richesse dont il ne sait que faire. Illustration la plus frappante, les deux ouvertures, où après des introductions pesantes, la petite harmonie semble impatiente de se déployer au début de chaque allegro, mais où la direction n’imprime aucune volonté, laissant tantôt le hautbois tantôt la flûte déployer des sonorités certes ensorcelantes mais qui ne vont nulle part. Idem avec le solo de cor dans le duo de La Scala di seta, inexplicablement plat.
On pourait objecter que ces défauts n’ont guère de rapport avec le chant, et que l’essentiel n’est pas là. Mais l’absence de phrasé n’empêche pas un activisme de chaque instant qui, couplé à des tempi démentiels, enferme la belle voix de Florian Sempey dans une bulle désoxygénée, où il peine autant à respirer que les auditeurs. Et c’est là péché mortel, tant le chanteur semble avoir cette musique qui lui coule dans les veines. Rien n’y fait. Comme un canari dans une cage aux barreaux trop étroits, le baryton déploie son talent dans un cadre décidemment trop défavorable pour que justice lui soit rendue. A quoi bon dès lors détailler la mâle beauté du timbre ? La facilité dans les vocalises ? Les improvisations et ornements réalisés avec un bon goût millimétré ? La vis comica ? L’abattage ? L’italien parfaitement idiomatique ? Tout cela tombe à plat, plomblé par un accompagnement qui reste essentiel chez Rossini, lequel surprenait et choquait ses contemporains par la richesse de son traitement orchestral. Pour qui a Zedda, Giulini ou Abbado dans les oreilles, le choc sera rude.
Les petits plats avaient pourtant été mis dans les grands, avec une affiche prestigieuse, où les partenaires ont pour nom Karine Deshayes ou Nahuel di Pierro, à la hauteur de leur flatteuse réputation. En Martino de L’occasione fa il ladro, Yoann Dubruque semble lui aussi vouloir jouer dans la cour des grands, et c’est là sans doute un nom à suivre. La prise de son est de premier ordre, le programme sort agréablement des sentiers battus et la couverture est à la fois belle et touchante, avec une anecdote que le chanteur révèle dans le livret. Vraiment, tant d’opportunités gâchées arracheraient presque une larme.