Tam praecipua tam praeclara pulchritudo… La fable, si complexe et si belle, de Psyché racontée par Apulée dans ses Métamorphoses aura fait rêver bien des poètes, des peintres, des musiciens. L’histoire de cette beauté suprême suppliciée par les déesses jalouses mais reconnue et aimée d’Eros tisse une trame délicate autour des mystères et des souffrances de l’amour. Le ferment de ce disque remonte peut-être à la découverte par Ambroisine Bré de la sculpture Amour et Psyché visible au musée Marmottan, danse silencieuse des deux amants. Le programme qu’elle a conçu autour de ce thème a toutefois l’intelligence de ne point se tenir à la lettre du mythe, mais d’explorer son esprit. S’entremêlent des poèmes lus par Gérard Depardieu de sa voix la plus douce, des moments instrumentaux, et des mélodies aux instrumentations variées qui ne sont pas toutes ancrées dans le récit mythologique, mais dont la succession raconte les états d’âme de Psyché au gré de ses avanies. Baudelaire côtoie Rossini, Duparc fraie avec Berlioz, Debussy répond à Lekeu, Fauré donne la main à Gounod et Bizet.
Les atmosphères varient, de l’attente à l’extase, puis de l’abandon aux retrouvailles. Ce que la chanteuse appelle en présentant son programme un « mini-opéra » est en fait une sorte de longue cantate, et même une rhapsodie au sens le plus antique du terme. Musicalement, l’enjeu était que ces pièces se succèdent sans paraître se juxtaposer arbitrairement : or, précisément, la dramaturgie se déploie avec une cohérence esthétique et narrative parfaite, chaque changement d’angle ou d’éclairage complétant la pièce précédente. Il n’était pas certain pourtant que le duo de Didon et Enée dans Les Troyens ne jurerait pas avec Le Papillon et la Fleur, ni que Liszt succédât sans encombre à Ambroise Thomas. S’il n’en est rien, c’est parce que les interprètes, Ambroisine Bré en tête, sont les premiers garants d’une qualité sonore d’un extrême raffinement. Tout ici est clair-obscur, timbres discrets, moirures. Témoin, l’arrangement de la Chanson perpétuelle, dont les entrelacs délicats sont presque plus éloquents que l’usuelle masse orchestrale, et où la voix peut oser des inflexions que l’orchestre interdit.
On pourrait souligner des réussites particulières, où la chanteuse ose des effacements, des accents d’une délicieuse sensibilité, comme dans Oh quand je dors, dont l’attaque même est comme un soupir, et où les pianissimi sont comme autant de frissons (Ismaël Margain détaille sa partie avec une empathie géniale) ; ou bien encore la ballade du Saule de l’Otello de Rossini, moins chanson qu’incantation dans la simple nudité du timbre. L’emporte cependant le cousu main de l’ensemble, ce sentiment que de chaque moment est tiré la juste expression, avec toujours un sérieux, une grâce, une foi dans le projet lui-même, qui impressionnent, et ne diluent pas la volupté que distille l’ensemble. L’enfant d’Eros et Psyché ne s’appela-t-il pas Hédonè ?