Mompou caractérisait ainsi son œuvre, précisant par ailleurs : « Debussy composait pour deux personnes, pas trois. Je compose seulement pour une. »
Ce CD réunit opportunément une mélodie – Cantar del Alma [chant de l’âme] – dont la composition précède celle du célèbre cycle pianistique (respectivement 1951 et 1959-67), les deux étant fondés sur des cantiques de Saint Jean de la Croix. Música callada est traduit par « musique qui s’est tue », ou « musique silencieuse », en référence au texte mystique. C’est durant son éprouvante détention par les carmes chaussés, à la suite de désaccords sur la réforme de l’ordre (à laquelle participa Thérèse d’Avila), que Jean de la Croix commença la rédaction des 40 strophes de ce Cantique spirituel, à destination des sœurs du Carmel. Achevé en 1590, circulant d’abord par le biais de copies manuscrites, il faudra attendre 1622 pour que sa première édition (traduction en français) en permit une diffusion à l’échelle du continent. Les couplets 14 à 35 célèbrent « les parfaits qui accèdent alors au mariage spirituel avec la confirmation en grâce ». C’est sur les 14e et 15e cantiques (*) que se fonde Frederic Mompou pour écrire les deux pièces de l’enregistrement.
Les 28 miniatures constituent le chef-d’œuvre du compositeur catalan et une des pièces majeures du répertoire pianistique. Ne connaissant que quelques enregistrements parmi plusieurs dizaines, nous laisserons aux spécialistes le soin d’apprécier cette nouvelle version que grava Josep Colom durant le confinement, après avoir déjà réalisé une intégrale de l’œuvre pianistique de Mompou (Erato). Disons simplement que le jeu du pianiste traduit à merveille l’ascèse, le dépouillement, qui s’y combinent à l’âpreté, à l’illumination dans une atmosphère de sérénité triste, sinon désespérée. La musique en est ineffable, poignante, même si l’on ignore le texte qui l’a générée, texte imagé comme celui du Cantique des cantiques.
Cantar del Alma (**) est aussi dépouillé, pudique et ardent que les mouvements de la Música callada. Une conclusion idéale, en quelque sorte, même si son écriture en est antérieure. Après l’introduction pianistique, le chant de Cecilia Lavilla Berganza, à découvert, se déroule comme une psalmodie fervente, d’une poignante simplicité, interrompue seulement par l’interlude du piano, avant que la seconde phrase soit énoncée, dans sa nudité. La pureté de l’émission, au timbre quasi infantile, la plainte conclusive du piano, dépouillée, nous étreignent. Longtemps après que la dernière note ait retenti, la musique résonne encore en nous. L’émotion est là. Cette musique va droit au cœur.
Le notice – hélas – ignore notre langue et ne reproduit pas le texte chanté.
(*)
La noche sosegada La nuit paisible
Par de los levantes de la aurora Aux approches du lever de l’aurore
Musica callada La musique silencieuse
Soledad sonora La solitude sonore
Cena que recrea yenamora La Cène qui recrée et enamoure.
Nuestro lecho florido Notre lit fleuri
Cuevas de leones enlazado Cavernes de lions enlacés
Purpura endido De pourpre tendu
Paz edificado De paix édifié
Mil escudos de oro coronado De mille écus d’or couronné.
(**) Mompou réalisa une harmonisation de la mélodie pour voix mixtes et orgue, la même année.