Beau cadeau de la Radio bavaroise, pour les 80 ans du maître, que la réédition d’un concert de Riccardo Muti, tout juste quadragénaire, les 8 et 9 octobre 1981 à la Herkulessaal de Munich. Beau cadeau pour nous surtout.
En chroniquant ici le gros coffret édité par Warner au printemps dernier, reprenant les enregistrements symphoniques du chef napolitain, j’écrivais : « Verdi ne pouvait pas être absent d’une telle somme ! D’abord la seule version gravée par Muti… à Berlin des Quattro pezzi sacri (avec des choristes suédois !) et l’aérienne Arleen Auger. Mais surtout deux Requiem, l’un gravé à Londres en 1979 avec un cast assez hétérogène (Scotto, Baltsa, Lucchetti bien vulgaire, Nesterenko), l’autre capté « live » à la Scala en 1987 avec une équipe grand format (Studer, Zajick, Pavarotti, Ramey), des tempi plus contrastés, une ferveur palpable. »
On retrouve dans l’équipe réunie à Munich deux ans après l’enregistrement de studio du Requiem de Verdi (1979) deux de ses solistes – Agnes Baltsa et Evgueni Nesterenko –. on y reviendra. On gagne considérablement au change en 1981 avec la présence de Jessye Norman (au lieu de Renata Scotto) et de José Carreras (la vulgarité de Lucchetti était le point faible de la première version Muti).
C’est la quatrième version au disque, si nos comptes sont exacts, du Requiem de Verdi pour RIccardo Muti, la dernière remontant à 2010 à Chicago.
Le meilleur Requiem de Muti
On était resté sur l’impression désagréable que nous a laissée la Missa Solemnis de Beethoven que Muti a dirigée l’été dernier à Salzbourg : solennité oui mais sans élan, gravité oui mais figée dans le marbre. Déjà de récents concerts viennois de Nouvel an nous avaient alerté sur le poids et l’empois des ans chez un maître de l’orchestre jadis fier et fringant.
Et voici que surgit ce témoignage qu’on n’attendait plus d’un Muti tout juste quadragénaire, dans une œuvre dont il connaît tous les secrets. Le livret (en anglais et en allemand seulement) nous apprend que les preneurs de son ont eu maille à partir avec l’exiguité du plateau de la Herkulessaal de Munich, où ce Requiem de Verdi a été donné les 8 et 9 octobre 1981. Il n’en paraît rien à l’écoute.
D’abord un mot sur la conception – constante au fil des décennies – du chef napolitain quant au chef-d’œuvre de Verdi. Il n’en fait pas un faux opéra. Il tient la bride courte à ses solistes qui ne font pas concours de décibels. Il creuse la masse orchestrale, révélant mille détails de l’orchestre verdien. Il donne au texte subtilité et puissance.
Mais il y a bien plus en ces soirs d’automne d’il y a quarante ans : le sentiment de vivre une soirée exceptionnelle, grâce d’abord au meilleur chœur qu’ait jamais eu Muti dans ses quatre versions du Requiem. Celui de la radio bavaroise (qu’il sollicitera à plusieurs reprises pour sa fabuleuse intégrale des messes et requiems de Cherubini) est indépassable tant dans l’effusion que dans la fureur, dans la ferveur comme dans la terreur.
Hommage à Jessye Norman
Cette nouvelle version est aussi un magnifique hommage à Jessye Norman. A la même époque, la soprano américaine disparue en 2019, est visible sur une vidéo dirigée par Claudio Abbado – mais comme alto aux côtés de Margaret Price ! – Ce sont ses seuls enregistrements du Requiem de Verdi. D’un bout à l’autre, et bien sûr dans le « Libera me », elle est admirable, rayonnante, dans la plénitude des moyens d’une voix qu’elle plie aux intentions du chef et aux inflexions du texte. Son « Libera me » bouleverse.
Agnes Baltsa à ses côtés paraît presque sous-dimensionnée, dans le timbre et la chair de la voix. José Carreras fait déjà entendre les failles d’une voix que la maladie viendra bientôt fragiliser. Mais ces faiblesses, ou supposées telles, n’en rendent que plus humaines et touchantes ses interventions – un « Ingemisco » d’anthologie – Evgueni Nesterenko ne force pas la noirceur de son timbre ni la puissance de sa basse. La pudeur contre l’exhibition.
Cette version est certainement la meilleure version du Requiem de Verdi que Riccardo Muti nous ait livrée, la quintessence d’un art où le respect du texte n’excluait ni la fougue ni la ferveur, où le spectaculaire ne prenait jamais le pas sur la spiritualité.
Si le mot galvaudé de « référence » a encore un sens, c’est bien ici et pour cette version qu’il peut s’appliquer pleinement.