On désigne sous le nom de lacrymatoire de petites fioles en verre utilisées par les Romains pour recueillir et conserver les larmes des défunts. Si cette interprétation romantique est réfutée par l’archéologie, qui y voit plutôt de simple récipients utilisés dans les cérémonies funéraires de l’époque, son utilisation prétendue se prête bien au dernier album de Zachary Wilder et de l’Ensemble La Chimera.
Car cette nouvelle parution est consacrée aux Lachrimae de Dowland, l’une des plus fameuses « musiques lacrymales » du répertoire. Les sept pavanes accompagnées de Gaillardes et d’Allemandes sont sept contemplations sur les différentes natures des larmes : lacrimae gementes, coactae, amantis, verae… Dowland signe ici l’une de ses pages les plus connues, et magnifie les possibilités du consort de violes. Ces lentes polyphonies étirent une plainte intérieure, où les dissonances passagères font chavirer immanquablement le cœur de l’auditeur. (Dowland aurait d’ailleurs été ravi d’apprendre que la composition chimique des larmes varie selon les causes qui nous les font verser.) Intelligemment conçu, le programme dissémine ces sept variations lacrymales, en intercalant les danses qui complètent le recueil. Elles-mêmes sont accompagnées d’extraits des Premier et Deuxième Books of Songs, qui, pour certains, sont des reprises vocales desdites Lachrimae.
On sait que Zachary Wilder est un fin musicien, et il le prouve d’autant plus que le programme ne lui donne pas l’occasion de faire valoir sa virtuosité. La ligne de chant est simple, pure, mais soutenue. Les mots sont pesés sans verser dans la préciosité, et le ténor américain sait habilement individualiser les reprises parfois nombreuses de chaque air. « Dear, if you change » est sensiblement ornementé, et fait d’autant plus regretter le vilain point de montage au début. La reprise sur un fil de voix des derniers vers de « Flow my tears » prouve une fois de plus qu’un chanteur n’a pas besoin de contre-ut ni de vocalises pour montrer le meilleur de lui-même.
L’ensemble La Chimera (anagramme heureux de Lachrimae) propose un Dowland sans emphase. Plus effleurées que surlignées, les dissonances et enharmonies surprenantes n’en sont que plus marquantes. On ne se prive pas pour autant de vibrer, et c’est bienvenu, surtout dans « Lachrimae Gementes ». Un grand soin est apporté à la variation des reprises, et à « l’orchestration » des Songs, où l’effectif instrumental laissé libre par l’auteur varie selon les reprises et l’atmosphère du textes.
Malgré quelques maladresses de montage, cet enregistrement au programme longuement mûri est un bel hommage à l’art de Dowland.