Voici quelques jours, l’enthousiaste soprano Julie Fuchs a voulu démontrer sur son compte Instagram que l’opéra n’était pas le loisir réservé aux riches privilégiés que l’on décrit souvent. Il n’en fallait pas davantage pour déclencher de nombreuses réactions. Accessible l’opéra ? Peut-être, si l’on trouve des spectateurs assez motivés pour rester debout en fond de parterre, ou se tordre le cou dans les loges de côté de vieux théâtres à l’italienne. Qui a expérimenté la rigueur des « sièges » relativement abordables du poulailler du palais Garnier, ou les sons cotonneux parvenant sans visibilité au fond de loges étouffantes de théâtres pourtant aussi prestigieux que la Scala de Milan, le Staatsoper de Vienne ou le Grand-Théâtre de Bordeaux, peut à son aise railler l’analyse de la soprano. Mais qui est allé à Bastille, à Lyon, à l’opéra d’Amsterdam, à celui de Turin, ou dans tout autre salle de conception plus récente, sait aussi qu’on y voit et qu’on y entend bien partout (ou presque), parfois pour des prix de base beaucoup plus abordables. Et comme l’a fait Julie Fuchs, on peut à l’envi démontrer que n’importe quel concert de n’importe quelle pop star un peu renommée atteint des tarifs dignes du Metropolitan Opera (de 30 à… 445 dollars).
Tout le monde a raison
Les vieux théâtres, on le sait, n’ont pas été conçus pour regarder et écouter religieusement les représentations dans les conditions auxquelles on aspire aujourd’hui. Il n’est d’ailleurs pas rare que dans ces salles, des places au prix déjà significatif soient aussi des plus inconfortables. Un exemple ? N’allons pas plus loin que Paris : le premier balcon du théâtre des Champs-Elysées, pourtant inauguré en 1913, est une épreuve pour les genoux même lorsqu’on n’est pas un géant. Sans parler de l’expérience assez désagréable de hammam ambiant lorsqu’il y fait chaud. Pourtant, à cet endroit, il vous en coûtera entre 78 et 105 euros pour un opéra, selon la catégorie de tarif. Quant aux salles modernes, quoi qu’on puisse penser de l’acoustique de certaines d’entre elles, elles ont au moins résolu, y compris en affichant des prix attractifs (de 25 à 39 euros selon les productions pour les places de catégorie 8 au centre du deuxième balcon de Bastille, mais gare au vertige !), les problèmes que posaient leurs devancières en termes de visibilité et de confort.
L’attractivité de l’opéra est ailleurs
Dans le dernier numéro de Classica, Michel Orier, directeur de la musique et de la création de Radio France, rappelle que plusieurs études ont démontré que la gratuité, par exemple, n’élargissait pas les publics, mais conduisait les habitués à « surconsommer ». Certes, on sait bien que si l’argent ne fait pas le bonheur, c’est toujours mieux d’en avoir. Cependant, venir ou ne pas venir à l’opéra ou au concert n’est pas seulement une question financière : c’est la méconnaissance même de cet art qui reste sa principale menace. Qui n’a pas entendu, lorsqu’on évoque l’opéra avec quelqu’un qui n’y est jamais allé et qui n’écoute guère de musique classique : « c’est trop long, on n’y comprend rien, les histoires sont invraisemblables » etc, etc ? Or, on le sait, l’émotion ne connaît pas les classes sociales, les larmes qui viennent aux yeux n’ont ni genre ni âge, pas plus qu’un cœur qui se serre. Ce qu’il faut avant tout à l’opéra – outre une politique tarifaire qui doit bien sûr rester attractive – ce ne sont pas des financeurs, mais bien des passeurs. C’est vous, c’est moi. Ce sont tous ceux que taraude l’ardent désir de partager leur amour d’un art total avec ceux qui l’ignorent, de leur dire ainsi, au moment où la gorge se noue : « tu vois, c’est ça l’opéra ». Ça s’apprend, ça s’explique, ça s’apprivoise. On ne le sait pas encore, mais on n’y aimera sans doute pas tout, on s’ennuiera devant tel ou tel, mais on pleurera devant tel ou tel autre, on voudra tordre le cou à Scarpia, souffrir avec Jenūfa, trinquer avec Falstaff, rire avec Norina. Mais avant tout cela, il faut des passeurs pour nous guider aux portes de ce monde aux mille couleurs, aux mille nuances, aux mille émotions. La période scolaire a sa part dans cette transmission, et elle a heureusement évolué après avoir dégouté durablement des générations d’approcher la musique dite savante à coup de flûte à bec. Vous aussi avez sans doute eu votre passeur à qui vous devez, bien plus qu’à n’importe quelle offre tarifaire, votre amour de cet art total comme l’appelait Wagner.
Alors vous aussi, qui l’aimez et savez l’effet qu’il peut produire, puisqu’il l’a produit sur vous, initiez les novices ! devenez les passeurs de l’art lyrique ! Les tarifs (attractifs) feront le reste.
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