« J’entends chanter mes personnages avec autant de netteté que je vois les objets qui m’environnent » écrit en 1865 Charles Gounod sous influence méditerranéenne, immergé à Saint-Raphaël dans la composition de Roméo et Juliette. Cette confidence scripturale donne son titre à la genèse de l’opéra racontée par Gérard Condé dans une nouvelle édition de l’Avant-Scène Opéra. Analyse autant que récit de l’élaboration de l’ouvrage tant le musicographe possède une connaissance intime d’une partition qui « synthétise et perfectionne plus qu’elle n’innove ». Pourquoi alors avoir écourté un propos instructif pour relater les années qui suivirent la création en 1867 de Roméo et Juliette, sans rapport direct avec le sujet de ce 324e numéro ?
Pour – on le suppose – ne pas empiéter sur l’introduction et le guide d’écoute par Joël-Marie Fauquet, unique article conservé de l’édition originelle, ce qui ne signifie pas que les autres articles n’étaient plus dignes d’intérêt. Le tableau comparatif établi des quatre versions de l’œuvre, la reproduction des lettres de Georges Bizet continuent de poser en référence ce premier numéro, daté de 1982. Puis, au contraire d’autres compositeurs, le regard sur Gounod en presqu’un demi-siècle n’a pas changé au point de tirer un trait sur les considérations passées. Seule la discographie, qui alors s’interrompait en 1976, s’est passablement étoffée avec cinq intégrales supplémentaires d’où se détachent les deux dirigées par Michel Plasson, en 1983 et 1995. Depuis 1982, intervient aussi le DVD avec pas moins de sept titres dont aucune ne parvient à satisfaire l’auteur de la vidéographie, Didier Van Moere, qui en conclusion donne ce conseil d’ami : « regardez sur YouTube le Roméo et Juliette dirigé par Marc Minkowski et mis en scène par Olivier Py ».
La liste des grandes productions, établie par Olivia Pfender et Jules Cavalié, montre une présence continue de l’ouvrage au répertoire avec quelques dates phares – New York 1986 (Cambreling, Shicoff, Malfitano) ; Orange 2002 (Plasson, Alagna, Gheorghiu) ; Salzbourg 2008 (Nézet-Seguin, Villazon, Machaidze) ; New York 2016 (Noseda, Grigolo, Damrau)… – alors que se profile en fin d’année à l’Opéra Comique une série de représentations dirigées par Laurent Campellone et mises en scène par Eric Ruf avec, pour amants de Vérone, Jean-François Borras et Julie Fuchs.
Quoi d’autre sinon ? Des extraits du texte de Shakespeare ; un portrait de Caroline Miolan-Carvalho, la créatrice de Juliette, par Louis Bilodeau ; un visite des lieux de l’intrigue guidée par Sylvain Parent et un rapide passage en revue des nombreux avatars en tout genre suscités par ce qui est à l’origine une simple nouvelle de Matteo Bandello (1485-1560) : les ballets de Prokofiev et de Tchaïkovski, West Side Story, les Capuletti belliniens, etc. C’est assez pour justifier l’acquisition de ce nouveau numéro, à condition d’aimer emprunter les chemins de traverse.