Au départ de cet enregistrement, il y a la production de 2018, mise en scène à l’opéra de Bordeaux par Philippe Béziat et Florent Siaud, et dirigée par Marc Minkowski.
Accueillie avec grand enthousiasme, elle fut reprise à l’automne 2020 – mais sans Minkowski. Hélas, ce spectacle ne put atteindre son public en raison des mesures sanitaires ; après cinq semaines de répétitions, et pour que le travail ne fût pas vain, il fut décidé de graver cette énième version de Pelléas et Mélisande, depuis l’auditorium de Bordeaux transformé pour l’occasion en studio d’enregistrement. Les oreilles de Forum Opéra étaient présentes… Le disque sort aujourd’hui ; tient-il les promesses de la séance d’enregistrement ?
Les difficultés principales de l’œuvre sont de pouvoir réunir une distribution solide, avec une excellente diction et qui soit suffisamment familière de la langue française pour rendre les subtilités du texte ; de restituer le climat poétique de la pièce de Maeterlinck, dont la langue pleine d’ellipses et de mystère ne laisse pas de nous surprendre, et enfin de rendre hommage à la merveilleuse orchestration de Debussy, tellement riche de couleurs et de nuances. Les trois principaux chanteurs de la production effectuaient en 2018 leur prise de rôle. Notre collègue soulignait les qualités de leur jeu scénique, de leur engagement. Au disque le challenge est plus difficile encore, il ne reste que la voix pour porter le rôle, et certains s’en tirent mieux que d’autres.
Ainsi, Stanislas de Barbeyrac fait un Pelléas très crédible, viril, consistant, et malgré tout poétique. Ses qualités de lyrisme sont bien réelles : voix parfaitement timbrée, souple, homogène dans tout le registre demandé et capable de bien des nuances, dont il joue avec subtilité.
C’est à Chiara Skerath, jeune soprano suisse, qu’on a confié le rôle de Mélisande, le plus délicat de la distribution. La voix est souple avec dans le timbre une nuance sombre qui sied assez au personnage auquel elle donne sa part de mystère, de tragique et de poésie, peut être moins d’ingénuité ou d’innocence. C’est affaire de choix, finalement, et ce parti-ci est fort bien défendu.
Nous avons été moins directement séduit par le Golaud d’Alexandre Duhamel. La voix est puissante, avec du caractère et un vibrato très large, mais l’intonation manque parfois de précision de sorte que la voix paraît dispersée et le texte un peu en retrait. Du personnage, il retient surtout la colère et la jalousie, qu’il conduit efficacement. Les autres sentiments, la surprise, l’amour émerveillé, puis le dépit, le chagrin, l’angoisse du vieillissement qui sont pourtant bien présents dans le texte et disponibles pour enrichir le rôle semblent lui venir moins naturellement.
La voix de Janina Baechle qui tient le rôle de Geneviève est particulièrement typée, aux limites de la caricature. Certes, c’est exactement le timbre qu’on attend pour le rôle, mais ne pourrait-on donner à l’émission vocale un peu plus de naturel, une couleur plus neutre aux voyelles qui semblent toutes dénaturées et gênent la compréhension, plus d’émotion, de frémissement, de variété dans l’expression ? Jérôme Varnier en Arkel fait preuve d’une grande noblesse, tout en sobriété, précisément, avec un timbre magnifique. Et pour une fois, Yniold chanté par une femme, certes très jeune mais plus une enfant (Maëlig Querré), sonne juste, sans mièvrerie ni affectation.
En dessous de nos attentes, notons la prestation de l’Orchestre National de Bordeaux Aquitaine dirigé par Pierre Dumousseaud qui – est-ce dû à la prise de son qui met les chanteurs fort en avant ? – paraît manquer de profondeur, avec une dynamique réduite et peu de couleurs, un lyrisme un peu timide, en particulier aux cordes. Certaines attaques sont imprécises, de sorte que les somptueux intermèdes orchestraux de Debussy paraissent fades et plats. Il est vrai que l’œuvre a été enregistrée par les plus grands chefs à la tête des meilleurs orchestres internationaux, et que la comparaison est rude.