Léo Delibes ne se résume pas à Lakmé, Sylvia et Coppélia, tant s’en faut. La littérature musicale le concernant, riche en son temps comme dans la première moitié du XXe siècle, s’est raréfiée. Il est d’autant plus heureux que Jean-Philippe Biojout se soit penché sur sa vie et son œuvre pour nous offrir cette étude, sérieusement documentée, qui devrait intéresser un cercle bien plus large que celui des amateurs de chant français.
« Aimable, bon, dépourvu d’envie et d’un esprit ouvert aux jugements sages et modérés […]. Il comprenait les idées d’autrui alors qu’il ne les partageait pas. » L’éloge d’un des grands critiques de son temps (Alfred Ernst, cité p.144), serait d’une remarquable justesse, si l’incompréhension par Delibes de la démarche de Maurice Emmanuel, qu’il renvoya de sa classe pour avoir prôné le retour à la modalité (et ne put concourir pour le Prix de Rome) n’en marquait les limites. Plus français qu’aucun de ses contemporains, par l’élégance, la finesse, la sensibilité, doutant toujours de ses moyens, le modeste et joyeux Léo Delibes mérite d’être mieux connu, comme son œuvre – abondante pour un « paresseux » – dont des pans entiers restent à découvrir. Ami très proche d’Offenbach, ce sont ses œuvres légères qui lui permettent de se faire connaître. De la quinzaine d’opérettes, où son sens du comique n’est pas moindre, on ne donne plus guère qu’une ou deux. Le Roi s’amuse semble bien oublié, malheureusement, dont la qualité surpasse certainement celle de Lakmé. L’excellent mélodiste avouait ignorer la fugue et le contrepoint avant de succéder à Henri Reber au Conservatoire. D’une rare conscience, il s’y attela pour répondre aux besoins de ses élèves. Faut-il rappeler l’admiration que portait Tchaïkovsky à ses ballets (« Si j’avais connu cette musique plus tôt, je n’aurais bien sûr pas écrit Le Lac des cygnes » , cité p. 91) ?
Les résumés des livrets et brèves analyses musicales constituent l’essentiel de l’ouvrage, illustrant une biographie contextualisée, déroulée simultanément. La lecture en est attrayante et nous permet de suivre les étapes d’une trop brève carrière : Delibes sera terrassé à 54 ans, sans avoir vu Kassya, son ultime ouvrage lyrique, dont l’orchestration sera réalisée par Massenet.
Forte maintenant de 91 ouvrages, la collection Horizons, s’enrichit ainsi d’un excellent volume. Pourvu d’un tableau synoptique, d’une bibliographie et d’une discographie sélectives, de deux index (noms et œuvres), ce condensé riche et concis est particulièrement bienvenu et sera apprécié de tous ses lecteurs. A souligner, la typographie et la mise en page, attrayantes et claires (avec d’utiles notes marginales), assorties d’illustrations pertinentes.