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Natalie Dessay : « J’ai été au Carmel pendant 23 ans ! »

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Interview
20 avril 2021
Natalie Dessay : « J’ai été au Carmel pendant 23 ans ! »

Infos sur l’œuvre

Détails

Alors que sortent chez Warner deux compilations de ses enregistrements, Natalie Dessay évoque l’actualité, sa carrière et ses projets.


Commençons par l’actualité : Gustavo Dudamel nommé Directeur musical de l’opéra national de Paris.

Très bonne nouvelle ! C’est quelqu’un qui a fait des choses magnifiques. J’espère qu’il va insuffler cet esprit très novateur et entreprenant à l’Opéra de Paris. Alexander Neef vient aussi d’un théâtre où il y a eu beaucoup d’innovations en terme de mise en scène, ça devrait très bien fonctionner. Nouvelle équipe, nouvel espoir !

Du coup vous vous dites : « J’aurais bien aimé chanter à Paris sous sa baguette » ?

Non ! Je ne regrette pas d’avoir quitté l’opéra ; je trouve fascinant de voir ce qui se passe, d’aller écouter les autres, mais moi je n’ai plus du tout envie de faire d’opéra. J’ai tourné la page ; vous savez c’est comme une séparation, c’est comme quand on quitte quelqu’un ; avec son « ex » on n’a même plus trop envie d’avoir des rapports étroits puisqu’on a changé de vie. Depuis huit ans, pas un seul matin sans que je me sois dit : « qu’est-ce que c’est bien d’avoir pris cette décision ! ». Parce qu’aujourd’hui je suis libre de faire ce que je veux, comme je veux.

Pour autant, vous continuez à cultiver votre voix ?

Oui, parce que je continue à faire des concerts, découvrir des répertoires, avec Philippe Cassard, Yvan Cassard entre autres que j’apprécie beaucoup. On peut avoir envie de faire de la musique autrement. Actuellement je travaille les Sieben Frühe Lieder c’est une joie ; je suis heureuse d’avoir retrouvé cette octave qui me manquait.

Il y a huit ans, une Manon à Toulouse et un ultime baisser de rideau.

Oui, j’étais soulagée. J’étais contente de terminer là où j’avais commencé, la boucle était bouclée. J’aime quand ça peut se faire comme cela. Et en plus dans une mise en scène de Laurent Pelly, c’était merveilleux. Laurent Pelly a fait des choses sur mesure pour moi, je lui en serai toujours reconnaissante ; on s’est toujours beaucoup amusés tous les deux. Il travaille de manière joyeuse et moi j’ai besoin de ça, j’ai besoin de beaucoup de bienveillance et de joie.

A Paris, il y a eu effectivement cette Fille du Régiment sous sa direction. De Paris, est-ce qu’on retiendra aussi la Reine de la Nuit à Garnier ?

Non, ça n’est pas un très bon souvenir ! D’abord parce qu’il y avait une grève, on a joué en décor unique, et je n’ai pas aimé la mise en scène. Je trouvais que c’était vieillot, sans beaucoup d’intérêt. J’ai été très déçue en fait. Vocalement en revanche, je me suis beaucoup amusée à essayer d’être dans le personnage avec une voix grave et hurlante pour dire le texte et puis à côté de cela, donner tout le scintillant de l’écriture de Mozart. C’était très difficile d’ailleurs, car quand on a hurlé le texte, se mettre dans une voix aigüe et très claire, c’est très périlleux.

Il y a donc cette double compilation ; une petite avec un concentré de vos rôles principaux.  Et puis une grande compilation de 33 CD et 19 DVD  où on retrouve l’essentiel de vos enregistrements. Quand on vous demande ce que vous en pensez, vous dites certes que vous êtes fière, mais j’ai l’impression que cette fierté est exprimée du bout des lèvres ?

Pas du tout. C’est simplement que je n’ai rien demandé. Je trouve en revanche que ces deux coffrets sortent à un moment assez opportun parce que ça fait exactement 30 ans que je fais ce métier. C’est un très bel objet. J’ai un petit regret, mais c’est de ma faute, c’est de ne pas avoir mis les airs de concert de Mozart ; c’est la seule chose qui manque. Mais vraiment, ça  me fait plaisir de voir que j’ai bien travaillé ; disons que je ne me suis pas beaucoup impliquée dans le contenu ; j’ai juste suggéré la photo : je la trouve très emblématique du métier d’opéra.

                                                                                              

C’est une photo prise à New York par Brigitte Lacombe pour Sonnambula. Sur le cliché,  on a l’impression que je suis au bord du précipice. Je trouve que ça résume bien à la fois mon amour pour la répétition (car c’est un costume pour la répétition que je porte), à la fois la magie avec ces chaussures vertes qui rappelle Le Magicien d’Oz, et le côté chorégraphique avec les bras très dessinés ; j’aime toujours jouer avec mon corps. Un chanteur, c’est un corps avant tout et puis il y a cette belle idée d’être toujours au bord du précipice.

C’est étonnant, on a l’impression que vous aimez plus les répétitions que la scène elle-même ?
Oui car j’aime chercher, me poser des questions, essayer des choses différentes. Prouver qu’on sait ne m’intéresse plus. J’aime mieux les questions que les réponses.

Beaucoup se posent justement des questions sur les rôles que vous pourriez chanter aujourd’hui. Cette question, vous vous la posez aussi forcément ?

Non pas du tout. Parce qu’avec la voix qui est la mienne et qui continue d’être la mienne je n’aurais pas pu aborder beaucoup d’autres rôles. J’aurais aimé chanter Floria Tosca, c’était ça que je voulais chanter, je voulais chanter tout le grand répertoire en fait. Aujourd’hui j’ai la même voix qu’avant, mais en un peu plus grave et un peu moins souple. C’est comme çà.

Pourquoi avoir tenté Liebestod ?

C’est une idée de Philippe Cassard ; je me suis dit que c’était rigolo ! Au début je ne voulais pas et puis c’est quand même de la très belle musique et accompagnée au piano par Philippe, je trouvais drôle d’en proposer une version plus juvénile.

Reste cette actualité douloureuse. La pandémie qui touche aussi le monde lyrique.

Je trouve cela affreux notamment pour la jeune génération, ces chanteurs qui allaient se lancer ou qui sont en passe de commencer. Je souhaitais m’impliquer c’est pourquoi je suis marraine d’une opération : « Je cours pour la culture ». Il s’agit de parcourir 800 km en courant de Montgeron à Aix-en-Provence pour promouvoir le spectacle vivant ; ne pas oublier que la visio, ce n’est pas ça notre métier ; notre métier c’est d’être sur scène avec des gens dans la salle et de faire tout ça pour de vrai.

L’actualité c’est aussi cette campagne de publicité bordelaise « Artiste c’est un métier ? » ou « La culture, c’est trop cher ? .

C’est tellement bête que je ne sais même pas s’il faut en parler. C’est très stupide, débile, c’est tout ce que j’ai à dire. C’est extrêmement populiste et démagogue. Je suis très déçue de la part des Verts ; tout coûte trop cher bien sûr. Effectivement, si l’homme n’est fait que pour travailler et manger, alors oui, tout le reste coûte trop cher. Mais si on veut faire bien les choses, il faut bien payer les gens ; rien ne remplacera jamais un professionnel digne de ce nom qui a travaillé depuis toujours à se perfectionner. Parce que tout le monde n’est pas capable de le faire et que tout le monde ne le fait pas. Parce que c’est un sacerdoce. Et même si c’est un sacerdoce choisi, c’est quand même quelque chose de difficile, et qui emmène vers la beauté et qui élève l’âme. Donc, est-ce qu’il faut compter ses sous pour élever son âme ? Je n’en sais rien.

Vous parlez de sacerdoce. Vous diriez que votre carrière a été un sacerdoce ?

Oui. Je dis toujours que j’ai été au Carmel pendant 23 ans. Alors bien sûr comme toutes les Carmélites j’avais choisi d’y être. Mais comme certaines Carmélites, j’ai choisi d’en sortir.

Nous parlions de Bordeaux

Oui je sais, l’opéra de Bordeaux : j’ai retiré ma candidature mais ce n’est pas à cause des affiches…  Je ne suis plus candidate. Disons que j’ai bien réfléchi, je me suis documentée et j’ai préféré garder ma liberté.

L’ « affaire » Chloé Briot et tout ce qui s’en est suivi ?

C’est un sujet extrêmement douloureux. J’ai eu affaire une seule fois dans ma vie à une situation un peu étrange. Dont je me suis sortie très vite. Un jour j’ai fait une audition avec quelqu’un qui a eu une réflexion déplacée et je n’ai pas donné suite ; je n’ai pas travaillé avec cette personne donc il ne s’est rien passé. A part ça  je n’ai jamais été victime de harcèlement ou de quoi que ce soit de la part de qui que ce soit mais peut-être parce que les prédateurs s’attaquent à qui ils savent pouvoir s’attaquer, des personnes plus fragiles ou susceptibles d’avoir des réactions de sidération ce qui n’est pas mon cas. Les gens qui auraient pu me faire du mal sentaient ça très bien. En tout cas il ne faut pas faire comme si ça n’existait pas.

Il y a ces affaires qui ressortent aujourd’hui : Levine, Domingo…

Placido Domingo a toujours été adorable avec moi. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’a pas eu des comportements déplacés avec d’autres que moi. Ce que je peux dire, c’est ce dont j’ai été témoin ; un homme charmant, charmeur aussi mais jamais d’une façon déplacée en tout cas avec moi. S’il a eu des comportements déplacés, il s’en est excusé. C’est horriblement dommage de terminer sa carrière là-dessus.

On vous sent détachée. Vous avez coupé avec le monde de l’opéra ou vous avez encore des contacts ? Vous retournez à l’opéra ?

J’y ai des copains. Je ne retourne pas tellement à l’opéra. J’ai vu récemment le spectacle d’Olivier Py La Voix Humaine et Le Point d’orgue avec Patricia Petibon. C’est un très beau spectacle.. Mais je vais plus volontiers au concert ou au théâtre.

Oui, en fait le théâtre c’est cela votre vie.

Ça a toujours été ma vie. Depuis le début.

C’est pour cela que vous vouliez chanter Tosca. Mais vous pourriez jouer la pièce ?

Oui la pièce est un peu bavarde ; je l’ai relue il n’y a pas longtemps. J’ai tout Victorien Sardou à la maison. Mais pour une fois, je trouve que l’opéra est mieux que la pièce !

Quand vous avez su que Forumopéra voulait vous interviewer, vous vous êtes dit ; chic, ils ne m’ont pas oubliée ?
Non je me suis dit, ils veulent me parler du coffret. Je m’en fiche un peu de savoir qui s’intéresse à moi. J’ai tellement d’occupations ailleurs.

Alors qu’est-ce que vous faites quand vous ne chantez pas ?

En ce moment j’apprends un texte de Marie NDiaye : Hilda ; c’est  l’histoire d’une vampirisation. C’est un conte moderne très cruel. On verra cela à la rentrée à Strasbourg, Paris, Toulon, Caen etc. Cet été des concerts autour de Nougaro. Il y aussi des projets de comédie musicale et de concert- comédie musicale et quelques projets de théâtre.

 

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