Ce disque offre-t-il la Neuvième symphonie de Beethoven la plus rapide de l’histoire de l’enregistrement ? En 62 minutes, Manfred Honeck prend rang parmi les chefs « pressés », encore bien plus que Maazaki Suzuki (66′) ou Jos Van Immerseel (65′). Même Norrington, le plus baroqueux des baroqueux, celui qui se targue de suivre les indications métronomiques de Beethoven à la lettre, n’est pas parvenu à descendre en dessous de 63 minutes. Inutile de parler de Claudio Abbado à Vienne (73′) ou Furtwängler à Londres (75′), qui semblent diriger une autre musique. On commencera donc par tirer son chapeau devant l’exploit technique. D’autant que cette exécution à toute vitesse est obtenue avec des instruments modernes, et une phalange, l’Orchestre symphonique de Pittsburgh, qui s’inscrit dans une tradition sans grand rapport avec les interprétations « historiquement informées ». Que des musiciens montrent une telle souplesse face aux exigences de leur chef mérite déjà d’être signalé. Encore plus quand il s’agit d’une prise faite sur le vif.
Qu’en est-il maintenant de l’aspect purement musical ? Ce serait mentir que de contester l’effet positif de ce traitement survitaminé sur Beethoven. Dès les premières mesures, l’excitation de Manfred Honeck est palpable, et elle se communique irrésistiblement à l’auditeur. Dans une œuvre ultra-rebattue, il parvient à tout faire sonner avec jeunesse, osant des coups de boutoir, des accélérations, des flashes sur tel ou tel détail instrumental qui décapent les choses, et surtout il parvient à nous garder en haleine jusqu’aux ultimes mesures. Ce qu’on gagne en ivresse, le perd-on en contemplation ? La réponse demande à être nuancée. Certes, il y a des excès : la marche du ténor « Froh wie seine Sonnen fliegen » devient ridicule à force de sonner comme une suite de hoquets. Et on se dit plusieurs fois que tel ou tel passage lyrique du III aurait gagné à être pris avec plus de solennité. Mais à bien y réfléchir, la démarche de Manfred Honeck doit se prendre comme un tout, et son refus de s’appesantir sur quoi que ce soit fait au total plus de bien que de mal à une partition que d’aucuns ont eu tendance à statufier exagérement. A cet égard, le dernier mouvement est une véritable fête dyonisiaque, et aura merité comme rarement son nom d’Hymne à la joie.
Surtout, il faut élargir le propos au-dela des problèmes de tempo, et voir ce que l’enregistrement peut offrir sur les autres plans. Et là, c’est Byzance. La beauté des timbres est au zéntih, avec un orchestre de Pittsburgh qu’on se prend à avoir peut-etre mésestimé alors qu’il étale une somptuosite de Rolls-Royce dans tous ses pupitres, la technicité sans faille s’alliant à une couleur extrêmement séduisante, voire hédoniste. Les équilibres de la partition sont scrupuleusement maintenus par un chef qui, après 15 ans passés dans les rangs des Wiener Philharmoniker, connait sa partition sur le bout des doigts et de l’intérieur. Le Mendelssohn Choir était plus ou moins absent des écrans discographiques, et c’est bien injuste : parvenir à faire sonner un aussi gros effectif (plus de 80 chanteurs) avec autant de souplesse, et s’en tenir au tempo démentiel imposé par le chef dans la reprise du « Freude schöner Götterfunken » sans la moindre anicroche, voilà qui n’est pas banal. Les solistes ne sont pas en reste. Un musicographe a un jour déclaré que, pour écouter le récitatif de basse qui ouvre la partie vocale, il était prêt à aller à pied de Vienne à Berlin. Shenyang nous aide à comprendre pourquoi. Le baryton-basse chinois met tant d’art dans ces quelques mesures qu’on est immédiatement introduit dans l’atmosphère d’allégresse du texte de Schiller. La beauté purement vocale s’allie au sens du mot, et les nuances de volumes sont rendues au millimètre près, ce qui permet en outre de passer de façon très harmonieuse du récitatif à l’hymne lui-même. Par la suite, le chanteur constituera une fondation solide sur laquelle ses collègues viendront s’appuyer, dans une confiance qui permet au quatuor de sonner superbement. Depuis de nombreuses années, Werner Güra est un ténor admiré par les amateurs de Lieder. Sa Belle Meunière de Schubert (Harmonia Mundi) reste une référence. Mais le chanteur ne recule pas devant des parties plus héroïques, et sa prestation, bien qu’un peu bousculée par le tempo du chef, est de premier plan. Carton plein aussi chez les dames, avec Christina Landshamer et Jennifer Johnson Cano, toutes deux investies et impeccables de souplesse dans les intervalles impossibles voulus par Beethoven. D’une facon globale, ce quatuor sonne jeune et frais, et ne semble jamais annoner une musique que d’aucuns pourraient croire usée jusqu’à la corde.
Un enregistrement avec des options franches et qui jette un regard neuf sur l‘opus magnum du maitre de Bonn. Il y aura sans doute des détracteurs, mais Manfred Honeck a le mérite de presenter une Neuvième qui ne ressemble à aucune autre avant lui. C’est sans doute le plus beau cadeau dont Ludwig pouvait rêver pour ses 250 ans, qu’une certaine pandémie ne sera pas parvenu à gâcher complètement.