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Un jour, une création : 24 février 1821, Mathilde est revenue

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23 février 2021
Un jour, une création : 24 février 1821, Mathilde est revenue

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Comme le lapin d’Alice, Rossini n’a pas le temps. Lorsqu’il arrive à Rome, juste après avoir présenté son Maometto II à Naples au début du mois de décembre précédent, le compositeur doit au Teatro Apollo, tout juste rénové sur les bords du Tibre, une œuvre nouvelle. Il pense à une adaptation de la pièce française de Jacques-Marie Boutet de Monvel (1745-1812), Mathilde, dernière pièce de ce pilier de la Comédie française, à la troupe de laquelle il a appartenu durant 34 ans. 

Mais voilà, la saison du Carnaval est déjà bien entamée et il faut une fois de plus faire vite, d’autant que Rossini cherche à se démultiplier et n’y réussit pas toujours. Il doit sans cesse prouver à ses commanditaires que c’est sa santé et non son hyperactivité qui le retarde dans la tenue de ses engagements. De fait, le premier librettiste choisi par Rossini  ne se presse pas pour adapter la pièce de 1799. Ce qu’il présente au compositeur déplaît à ce dernier et Rossini court alors chercher celui qui lui avait tricoté la Cenerentola trois ans plus tôt, Jacopo Ferretti. Celui-ci prend des morceaux de Mathilde mais recourt pour (encore) gagner du temps à un autre livret déjà tout prêt, celui conçu par François-Benoît Hoffmann (ne pas confondre avec Ernst Theodor Amadeus) pour un opéra de Méhul vieux de plus de 30 ans, Euphrosine et Corradin. Comme si ce patchwork ne suffisait pas, Ferretti va emprunter d’autres morceaux dans d’autres pièces et opéras du début du XIXe siècle : Il Corradino de Morlacchi et Corradino Cuor di ferro de Pavesi.

Comme d’habitude lorsque le temps lui manque et comme cela est d’ailleurs assez fréquent à l’époque – il ne s’en est pas privé – Rossini lui-même va chercher dans ses propres partitions de quoi remplir sa besace pour cet opéra « original » qui prendra le nom de « Matilde di Shabran, ossia Bellezza e Cuore di ferro » (Mathilde de Shabran ou Beauté et Cœur de fer). Il va donc reprendre l’ouverture d’Eduardo e Cristina, écrite moins de 2 ans auparavant et emprunter un duo et un chœur à Ricciardo e Zoraide (décembre 1818). Mais ça ne suffit pas, notre Gioachino-lapin d’Alice n’en finit pas de courir après les échéances. Rossini demande donc au jeune Giovanni Pacini, fils de l’une de ses basses fétiches, Luigi Pacini, de l’aider. Le compositeur débutant va ainsi lui écrire une introduction pour le deuxième acte, ainsi qu’un duo et un trio et s’occupera de tous les « recitativi secchi » de cette œuvre, qui prend la forme d’un « melodramma giocoso »,  opéra semiserio, un peu comme la Pietra del Paragone, 8 ans auparavant.

Pour le résumer très brièvement, ce livret-collages raconte comment Matilde, amoureuse d’Edoardo – fils de Raimondo, l’ennemi juré de Corradino, petit tyran espagnol – va chercher à vaincre les réticences de ce Cœur de fer, par ailleurs misogyne au dernier degré et passablement brutal, à libérer Edoardo, qu’il tient en otage. Mais cette tentative de Matilde, non exempte d’effets de séduction, provoque la jalousie de la comtesse d’Arco, qui épouserait bien Corradino. Celle-ci libère donc Edoardo en faisant croire à une trahison de Matilde. Le tyran, furieux, ordonne donc à Isodoro, son poète ( !) de tuer Matilde. Le poète n’en fait rien et Corradino, qui a fini par tomber amoureux de Matilde et qui découvre le mensonge de la comtesse, est rongé de remords, au point de chercher à mettre fin à ses jours. Heureusement, Matilde et Edoardo, qui lui pardonnent ses excès à condition qu’il devienne bon, viennent l’en dissuader, et tout finit bien, par un grand rondo réservé à la prima donna et un chœur qui dit ceci : « les femmes sont nées pour vaincre et régner ». Qu’on se le dise !

Muni de ces multiples collages, Rossini peut entrer en répétition avec une équipe de chanteurs assez nouvelle pour lui : Caterina Lipparini en Mathilde ; Annetta Parlamagni dans le rôle travesti d’Edoardo  ou encore Giuseppe Fusconi dans celui du tyran Corradino. Mais le directeur musical du théâtre est frappé d’une attaque pendant les répétitions, plongeant toute la troupe dans une mortelle incertitude. Rossini fait appel in extremis à un autre collègue alors à Rome et qui tiendra à la fois le pupitre de 1er violon, et même celui de 1er cor : Niccolò Paganini lui-même, qui dirige donc la première et les deux représentations suivantes.

Si le succès est réel voici tout juste 2 siècles, il ne se passe pas sans les habituels pugilats romains. Dans la salle et jusque dans les rues proches du théâtre, partisans et adversaires de l’œuvre comme du compositeur s’empoignent allègrement.

Rossini ne sera pas totalement satisfait de ce patchwork lyrique, qui n’est pourtant pas son premier. Pour la reprise napolitaine, quelques temps plus tard, il va retirer les morceaux de l’inexpérimenté Pacini par de nouveaux de son cru. Cela ne suffira cependant pas à maintenir Matilde di Shabran à l’affiche et l’œuvre sera à peu près totalement oubliée jusqu’à la renaissance rossinienne du début des années 1970.

Mais c’est à Pesaro, au milieu des années 1990, que cette partition fera un retour très remarqué, essentiellement grâce au Corradino d’un jeune Péruvien alors engagé dans les chœurs pour cette nouvelle production. C’est Bruce Ford qui doit interpréter le rôle du tyran, mais il tombe malade. On fait donc appel à Juan Diego Flórez, 23 ans, dont la prestation lance la carrière que l’on sait. Certes, le vaillant ténor a repris plusieurs fois le rôle depuis, et a bénéficié d’une captation infiniment meilleure que celle que je propose ici , avec d’autres brillants interprètes (souvenons nous par exemple d’Annick Massis dans le rôle titre en 2004 et, plus près de nous, d’Olga Peretyatko) ; certes, la version originale romaine a depuis été enregistrée ; mais c’est un document de ces fameux débuts de Juan Diego Flórez que je vous propose ici, dans cette production de Pier’Alli, sous la direction d’Yves Abel, avec Elisabeth Futral en Matilde et Patricia Spence en Edoardo. On compte également dans la distribution Bruno Praticò, Pietro Spagnoli et Roberto Frontali.

Voici un long extrait, hélas terriblement mal enregistré, de la fin du 1er acte de cette production historique, dans lequel vous entendrez des thèmes qui vous diront quelque chose… Mais pour son bicentenaire, Matilde vaut bien ça et pour l’écouter dans de meilleures conditions, y compris avec ce ténor, qui a fait bien du chemin et dont le rôle, tout comme le festival Rossini, est devenu pour lui un fétiche, vous n’aurez que l’embarras du choix.

 

 

 

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