L’anecdote, en introduction de ce nouveau livre consacré à Camille Saint-Saëns, est trop savoureuse pour ne pas la raconter. En Bretagne, au début du 20e siècle, une mère ne sait plus à quel saint se vouer pour obtenir la guérison de son enfant, gravement malade. Un jour, son médecin la trouve rassérénée. L’enfant va mieux par la grâce d’un nouveau saint dont elle a découvert fortuitement l’existence et qu’elle a prié de toute la force de son inébranlable foi. Et la brave femme de montrer le portrait de Saint-Saëns trouvé dans une tablette de chocolat.
C’est dire la célébrité du compositeur dont attestent pas moins de 78 caricatures rassemblées et commentées en ordre dispersé par Stéphane Leteuré, déjà auteur de deux ouvrages sur Camille Saint-Saëns : Camille Saint-Saëns et le politique de 1870 à 1921 (Vrin, 2014) ; Camille Saint-Saëns, le compositeur globe-trotter (Actes Sud/Palazzetto Bru Zane, 2017).
Le regard satirique porté sur un des musiciens officiels de la 3e République n’en dit pas aussi long qu’on l’imaginerait sur sa personnalité et sur la manière dont était perçu son art. A ce titre la plus éloquente des caricatures, signée Alfred Le Petit dans Le Charivari du 3 avril 1883, présente Saint-Saëns en chef-cuisinier aisément identifiable à son appendice nasal démesuré, concocter dans un chaudron son opéra Henri VIII en ajoutant dans le brouet fumant le sel de Verdi et le poivre d’Auber. Pour enfoncer le clou critique, un quatrain accompagne le dessin :
Ce fameux Henry VIII, disait-on, devait être
La musique de l’avenir.
Dans ce qu’on applaudit, moi, j’ai cru reconnaître
La musique du souvenir.
Il faut maîtriser son Saint-Saëns, ou du moins sa biographie, sur le bout du doigt pour replacer dans leur juste contexte ces représentations souvent humoristiques du musicien. Bien que circonstanciés, les commentaires de Stéphane Leteuré ne suffisent pas toujours à éclairer le lecteur profane. A défaut, on apprécie la variété des coups de crayon, qu’ils soient simples, voire enfantins, grotesques ou réalistes d’une précision dans le trait quasi-photographique.
Leur point commun est le plus souvent le procédé dit de la « grosse tête », à savoir le choix de représenter le visage – et le nez – disproportionné par rapport au reste du corps. Leur regroupement, thématique plutôt que chronologique, – les œuvres, le voyage, la politique… – autorise une lecture morcelée, condition nécessaire pour ne pas céder à une impression de lassitude, dût le puzzle s’avérer alors plus difficile à reconstituer.
Les caricatures postérieures à la mort de Saint-Saëns reprennent l’image du compositeur telle que la postérité l’a figé : âgé, la barbe blanche abondante, le crâne dégarni, les yeux cernés et toujours cet énorme tarin, à faire pâlir d’envie Cyrano de Bergerac. Cette représentation du musicien s’apparente finalement dans l’imaginaire collectif au portrait-robot des hommes illustres de l’époque : mâle blanc dominant âgé de plus de 50 ans, hétérosexuel (bien que pour Saint-Saëns un doute existe). Déjà…