Il est toujours dangereux de vivre dans une bibliothèque, et ce d’autant plus si elle est constituée de documents au format aussi obsolète que le livre, la partition ou le CD. Malgré ce constat amer, nous nous devons de reconnaître qu’une réédition d’un enregistrement de référence par Deutsche Gramophon nous enthousiasme toujours autant. Dans la récente volée de publications d’Archiv Produktion, on retrouve les Vespro della Beata Vergine par John Eliot Gardiner et les English Baroque Soloists. Le caractère immémorial de la musique de Monteverdi, la double captation en CD et DVD et le plateau vocal de cet enregistrement font de cette version une sorte de méta-référence musicale : une référence des enregistrements de référence.
En 1989, Gardiner n’est pas le premier à se confronter à ce monument de musique sacrée, et d’excellentes propositions ont déjà vu le jour (Corboz et Herreweghe surtout). Mais le chef anglais se paye le luxe de l’enregistrement in loco, et quand il s’agit de la basilique Saint-Marc, ce n’est pas peu dire. La présence du DVD dans ce coffret invite à se perdre aussi bien dans les florissantes polyphonies de Monteverdi que dans les détails des mosaïques de l’édifice.
La direction de Gardiner est sans ambages, et les English Baroque Soloists donnent en conséquent le meilleur d’eux-mêmes. Les sanguins regretteront peut-être une relative sobriété ornementale, préférant la proposition un peu plus tardive de René Jacobs. Mais quel plaisir d’écouter une version aussi impeccablement jubilatoire, aussi radieuse dans son exactitude !
En complément d’un Monteverdi Choir qui n’a jamais aussi bien fait honneur à son nom, le chef anglais s’entoure de solistes d’exception. Ann Monoyios et Marinella Pennicchi s’égalent mutuellement dans les compétitions vocalisantes de la partition. Des trois ténors, on retient avant tout le timbre juvénile et sensible d’un Mark Tucker à l’aube de sa carrière, et les basses ne sont pas en reste, puisque servies par les tout jeunes Bryn Terfel et Alastair Miles.
Il est toujours dangereux de vivre dans une bibliothèque, mais si elle conserve des trésors de l’histoire du disque, on se contentera de vivre dangereusement.