« A letto, A letto » (au lit, au lit) marmonne Lady Macbeth en état de somnambulisme dans l’opéra de Verdi. Elle ne croit pas si bien dire. Nous voilà, pour beaucoup d’entre nous, assignés à domicile dès 21h, astreints à des consignes qu’il est difficile de ne pas trouver injustes, privés de concerts et de spectacles, condamnés tel Marcel Proust à se coucher de bonne heure, somnambules d’un mauvais rêve qui ne veut pas prendre fin.
Face à une telle gabegie, il est naturel de commencer par s’indigner. Déplorer le désastre économique, culturel, humain. Réaliser ensuite les conséquences d’une telle décision : la ville désertée, les théâtres fermés, les artistes forcés au chômage ou, pire, comme le suggérait un édile outre-Manche, contraints à la reconversion. Une fois la stupeur passée, en quête d’émonctoire, s’en prendre à nos dirigeants, leur reprocher ce qu’ils ont fait et ce qu’ils n’ont pas fait. En profiter pour ricaner – il est vrai que la phrase du Président Macron sur l’application StopCovid, « ce n’est pas un échec mais ça n’a pas marché », pourrait figurer parmi les répliques cultes du Père Noël est une ordure. Puis une fois la pelote des récriminations défilée, lister ce qu’il aurait fallu faire : fixer 22h, ou mieux 23h, au lieu de 21h comme heure limite, attribuer des dérogations aux consommateurs de spectacle dont le billet aurait servi de passe-droit, etc. La critique est aisée et gouverner de plus en plus difficile. L’exemple d’Orphée devrait nous servir de leçon. À quoi bon regarder en arrière et gaspiller une énergie qui nous sera précieuse dans les six semaines à venir, et plus car nous ne leurrons pas, l’affaire n’est pas terminée – Emmanuel Macron hier repoussait l’horizon à l’été 2021.
Ce couvre-feu nous ramène aux heures les plus sombres de l’histoire de France, fin 1941, lors de l’occupation allemande. Nos (arrières-)grands-parents entrèrent alors en résistance. Le terme n’est plus à la mode (encore moins aujourd’hui depuis que les entreprises appellent leurs salariés « collaborateurs »). Désormais on parle de résilience, c’est-à-dire de la capacité à surmonter un traumatisme et de se reconstruire. Ce qu’il adviendra du Ring déjà malmené de la Bastille et des autres opéras ici et là, nous verrons bien. Soyons certains que des solutions seront trouvées pour limiter la casse au maximum. Surtout, ne nous refermons pas dans notre coquille à bouffer du streaming une fois la nuit tombée, à défaut d’une programmation culturelle aux heures de grandes écoutes à la TV.
Imaginons demain. Les soirées sont mortes ; vive les matinées, les concerts organisés à l’heure du déjeuner, les happy hours musicaux, les croque notes et autres apéros lyriques. Comptons sur l’ingéniosité des professionnels de la culture pour inventer des alternatives. « Ca va décourager le public » se lamentent quelques-uns, encore sous le choc. Prouvons-leur le contraire. Ne boudons pas ces nouvelles propositions de spectacles, même si elles peuvent sembler moins attrayantes. Continuons de sortir, en respectant les consignes évidemment, mais sortons. « Entrons dans la fournaise » chante non Lady Macbeth promise aux flammes de l’enfer, mais le chœur des voyageurs assoiffés de plaisir dans La vie parisienne d’Offenbach. Cette vie-là est pour l’instant suspendue. Alors entrons en résilience.