Si l’ouvrage n’a jamais quitté le répertoire des chœurs et des orchestres germaniques, on peine à comprendre pourquoi une œuvre aussi puissante ne connaît pas davantage la faveur de nos concerts, malgré une bonne dizaine d’enregistrements, souvent signés des noms les plus prestigieux. Le sujet est familier à nos voisins d’Outre-Rhin, qui fêtent, dans la nuit du 30 avril au premier mai, cette Walpurgisnacht. A l’origine, les druides refusent de renoncer à leurs pratiques rituelles pour célébrer le retour du printemps et du soleil, que combattent les chrétiens. Le Brocken, point culminant des montagnes du Harz, souvent enveloppé de brouillards propres à créer une atmosphère mystérieuse, va rassembler ces druides, qui vont terroriser les chrétiens, en faisant un bruit d’enfer, de démons et de sorcières, pour conserver leurs traditions. Goethe, en 1799, s’empare du sujet et compose sa ballade, écrite pour que Zelter la mette en musique. Comment ne pas penser à la tradition celtique, magnifiée dix ans après par Chateaubriand dans Les martyrs ?
Tous les ingrédients des Lumières et du romantisme premier sont là : la résistance à l’oppression, sinon la tolérance, le culte de la nature, du surnaturel, de la lumière (« dein Licht ») et des traditions. La grande fresque narrative que compose Mendelssohn est avant tout chorale, les solistes (alto, ténor, baryton et basse) se voyant confier des interventions limitées, liées au déroulement dramatique. L’action y est continue, avec des moyens sans cesse renouvelés. Au centre de l’ouvrage, le chœur des veilleurs des druides, « Kommt mit Zacken und mit Gabeln », en est le sommet, sans doute l’une des pages chorales les plus réussies de toute la littérature musicale. L’orchestre a les couleurs, la transparence et la fluidité de celui de l’ouverture du Songe d’une nuit d’été. Le surnaturel, le fantastique, qui rejoint celui du Freischütz, la poésie et la vigueur sont magistralement illustrés. Très loin des clichés qui réduisent Mendelssohn à un aimable romantisme, la partition est d’un souffle lyrique constant, d’une force équivalente à celle de Berlioz ou de Weber, avec la science de l‘écriture et de l’orchestration qui en sont la marque.
L’œuvre chorale de Mendelssohn a trouvé le plus ardent des défenseurs en Frieder Bernius. Rompu à toutes les techniques, il porte ses interprètes à leur plus haut niveau. Son chœur est exemplaire : il égale, voire surpasse les meilleurs. Aucun soliste ne démérite. L’orchestre, vigoureux, tendu et puissant sait se faire mystérieux, frémissant. Une réussite incontestable.
Comme Antigone, son pendant, davantage connue, la musique de scène pour l’Œdipe à Colone, de Sophocle, mérite d’être découverte. Le couplage est donc bienvenu avec cette œuvre dont les chœurs sont les acteurs. Cependant, elle comporte dix numéros, dont l’introduction orchestrale, et seuls trois extraits nous en sont proposés, ce qui nous laisse un peu sur notre faim : il faudra revenir à l’intégrale que Bernius signait en 2009, ou à l’une des trois versions concurrentes. Le minutage réduit autorisait bien davantage que la reprise fragmentaire de ce CD. Dommage, par ailleurs que la brochure d’accompagnement ne comporte pas de traduction française.