Il fut un temps, en Angleterre, où la musique ancienne se résumait à peu près à Haendel, et uniquement à travers des œuvres comme Le Messie. Grâce à la grande tradition chorale victorienne de l’oratorio à effectifs pléthoriques, la popularité du compositeur germano-britannique fut durablement et patriotiquement consolidée.
On peut donc comprendre qu’il ait été tentant, au XIXe siècle, de produire de nouvelles œuvres susceptibles de s’inscrire dans cette lignée. En France, seuls les oratorios d’Edward Elgar sont, sinon connus, du moins un peu moins méconnus ou inconnus que le reste. Son aîné Hubert Parry (1848-1918) eut sur lui une réelle influence, et il compta parmi ses élèves des personnalités comme Ralph Vaughan Williams, Gustav Holst et Franck Bridge. Une quinzaine d’années avant qu’Elgar ne compose The Dream of Gerontius, Parry reçut la commande d’un oratorio intitulé Judith, qui remporta un vif succès auprès du public, et dont l’un des airs allait devenir un tube avec d’autres paroles, « Long since in Egypt’s plenteous land » (devenu « Dear Lord and Father of Mankind »).
Malgré son titre, Judith n’aborde qu’indirectement le fameux épisode biblique qui avait inspiré à Vivaldi sa Juditha triumphans. Comme l’indique le sous-titre de l’oratorio, le personnage principal est en fait Manassé, roi de Juda connu pour son impiété, car il délaissa Jahveh au profit d’une idole comme Baal-Moloch. Au début de l’œuvre, le grand-prêtre apprend à Manassé que le monstre affamé de chair humaine réclame que le roi leur sacrifie ses propres enfants. Jérusalem est ensuite attaquée par les Assyriens, et toute l’action héroïque dont se charge Judith a lieu en coulisses. Après avoir tremblé, les Juifs rendent grâce à Dieu de les avoir protégés.
De fait, le principal protagoniste du livret est finalement le chœur : le Crouch End Festival Chorus offre ici un sans-faute, en digne hériter de la tradition mentionnée plus haut. La partition compte de nombreux moments frappants par la richesse de son écriture chorale, très souvent fuguée, toujours expressive. Et un peu comme Milton, ayant terminé son Paradis perdu, s’aperçut à son grand dam que le personnage le plus intéressant de son épopée était Satan, Parry semble avoir été particulièrement inspiré par les scènes du culte de Moloch, où la barbarie est fort bien traduite dans les interventions du chœur. Cette première scène contraste avec les moments plus sentimentaux, plus apaisés. L’ensemble évoque par moments un équivalent britannique des oratorios de Massenet, avec la douce sensualité des interventions de Judith, ou le franc pastiche XVIIIe siècle de l’air de Manassé « God breaketh the battle ».
Parmi les quatre solistes, les messieurs se révèlent plus convaincants. Le ténor Toby Spence apporte à Manassé des couleurs juvéniles un peu inattendues dans le rôle, mais après tout, ce roi qui se repent vite d’avoir adoré Moloch n’est pas censé être un modèle d’assurance patriarcale. De l’autorité, on en trouve à revendre du côté de l’impressionnant grand-prêtre/messager d’Henry Waddington, baryton-basse à la voix superbement timbrée. La mezzo Kathryn Rudge, en revanche, atteint vite ses limites, là où l’on rêverait d’une voix de contralto plus ample, notamment dans le grave. Quant à Sarah Fox, si elle distille de fort belles phrases dans le médium, l’aigu pourrait être plus épanoui et les moments de véhémence l’obligent à émettre des sons moins agréables, voire stridents.
William Vann, à la tête des London Mozart Players, parvient à rendre tout à fait vivante cette partition qui connaît ici son premier enregistrement mondial.