Depuis quelques années, le baryton Alain Buet s’est emparé des Lieder de Schubert, après avoir attendu, comme il le déclare lui-même, une « bonne quinzaine d’années de réflexion (…) comme un alpiniste fasciné, paralysé et attiré par la magie d’une montagne. » Mais à l’occasion de la sortie de son enregistrement de Winterreise, c’est avec un nouveau compagnon de route qu’il propose de parcourir ce voyage : le quatuor à cordes Les Heures du jour, jouant sur instruments d’époque.
La transcription pour quatuor des Lieder n’est pas nouvelle, et plusieurs versions ont été déjà enregistrées, comme celle du ténor Peter Schreier en 2015 avec le Dresdner Streichquartett ou de celle du baryton Johan Reuter avec le Copenhagen String Quartet en 2016. Historiquement, cette approche n’est pas non plus téméraire : il s’agit aussi de respecter l’état d’esprit d’une époque, où les œuvres, loin de tout « puritanisme », étaient diffusées via des transcriptions ou des orchestrations. Ce choix cohérent invite donc à une écoute renouvelée de cette œuvre, qu’on ne se prive jamais de retrouver.
Aux oreilles habituées au piano, l’âpreté des cordes frottées sans vibrato, peut surprendre au premier abord. La douce amertume des premiers accords semble laisser place à une tension nonchalante. La voix d’Alain Buet, éloquente, nous laisse penser que la confidence tend davantage vers une petite mise en scène sonore.
Les teintes contrastées du quatuor colorent l’atmosphère de ces Lieder et en accentuent l’expressivité : les pizzicati de « Gefrorne Tränen » révèlent les silences ponctués des sanglots, les legati désabusés de « Rast » appuient la lassitude pesante ; sans compter les liaisons glissées de « Der Leiermann » qui laissent encore mieux entendre les vacillations de la vielle agonisante. De ce point de vue, la transcription réalisée par Gilone Gaubert-Jacques est à saluer pour sa respectueuse et adroite insertion de la partition originale dans les ressorts de la formation à cordes.
L’équilibre de l’ensemble avec Alain Buet est subtilement trouvé. L’exercice est délicat, puisque le chanteur doit renforcer sa présence sans déborder de puissance. Pour y répondre, le baryton sait faire usage de sa voix souple qui traduit une véritable imprégnation et maturation des mélodies.
De cette disposition singulière, il en vient à privilégier parfois le contraste à la nuance. La finesse des appogiatures dans « Auf dem Flusse », s’opposent par exemple à la déclamation vigoureuse dans « Der Greise Kopf » ou dans « Die Krähe ». Les textures de timbres se mélangent bien, notamment dans les rondeurs des notes basses. Cette association heureuse laisserait presque imaginer une écriture en quintette. A l’inverse, par l’accentuation des effets s’installe parfois une certaine pesanteur. La formation n’y est sans doute pas pour rien, le baryton alanguissant les accents, probablement pour coller au mieux au mouvement des archets.
Cette version de Winterreise gagne ainsi en drame là où elle perd en intimité. Elle garde néanmoins le caractère d’un cheminement intérieur malgré le charme de l’âme solitaire qui s’érode. Parce qu’elle n’emprunte pas les mêmes sentiers entrepris jusqu’alors pour ces Lieder, sa découverte vaut largement le détour.