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Miasmes mortifères, ou pourquoi nous ne mourrons pas à l’opéra

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Edito
3 mars 2020
Miasmes mortifères, ou pourquoi nous ne mourrons pas à l’opéra

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Nous autres, amateurs d’opéra, avons intérêt à nous faire très discrets ces temps-ci.

Quand on voit à la télévision ces EHPAD investis par des médecins portant une cagoule anti-épidémique, ces comices agricoles interdits par un cordon de police, ces salons touristiques fermés avant d’avoir ouvert, c’est la tête dans les épaules et le regard furtif qu’on entre dans une salle d’opéra, pour autant qu’elle ne soit pas en grève.

Là, avec un sentiment d’impunité, on se retrouve entre tousseurs et cracheurs. A la fin  de chaque air, les postillons volètent dans la salle comme des lucioles par une belle nuit d’été, propulsés par les claquements de mains qui pendant trois heures ne seront pas désinfectées. Sur scène, la capacité de projection aérosol des chanteurs n’est plus à démontrer : une soprano qui pousse son ré bémol propage dans l’air l’équivalent de douze litres de glaires contaminées, selon une récente étude (non-publiée pour des raisons bassement politiques). Quand on pense qu’ordinairement le moindre rhinovirus qui vaut deux jours de fièvre à un enfant de cinq ans suffit à terrasser un Heldenténor de cent cinq kilos, on tremble pour les  chanteurs du Ring parisien. Le « Hojotoho » vociféré à travers un masque hygiénique pourrait se révéler décevant sur le plan vocal. On fait en revanche confiance aux metteurs en scène pour déplacer l’action dans un sanatorium : ils n’en attendaient d’ailleurs pas tant.

Les danseurs s’en sortent bien mieux, mais à quoi bon porter un masque quand on passe la soirée à se serrer, se presser, se tripoter ? Assister à un ballet, c’est scruter au microscope une cytodiérèse en milieu humide – c’est joli mais un peu inquiétant.  Quant à la digne dame qui à côté de vous déroulait bruyamment un papier de bonbon, elle se fait désormais une injection de chloroquine dans la fesse gauche en plein acte II de Tristan, et l’on ne gagne pas nécessairement au change.

Les foyers des maisons d’opéra ne sont plus ces lieux de sociabilité charmante, mais des foyers infectieux, et les cocktails de l’entracte où, assoiffés, affamés, les spectateurs s’agglutinent au bar figurent dans le top 5 des zones à risques.

Pourtant, les maisons d’opéra restent ouvertes. On peut encore en toute impunité venir y applaudir une cousette qui s’éteint dans d’affreux râles de pulmonaire ou une demi-mondaine qui crache ses dernières phrases entre deux expectorations.

Notre force à nous, amateurs d’opéra, c’est que nous sommes parfaitement aguerris au spectacle des phtisiques et  à la fréquentation des tousseurs et renifleurs catarrheux. C’est notre ordinaire.  C’est notre élément. Nous sommes parés, nous n’avons pas peur. Et si par malheur on venait à fermer les maisons d’opéra, comme La Fenice et La Scala durent récemment s’y résoudre, nous resterions chez nous à écouter des disques, ces vieilles cires où se sont conservées les splendeurs du passé et dont nous aimons tant le son qui crache.

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