Créée en 1709 à Venise, Agrippina fait son entrée au Metropolitan Opera en ce début d’année 2020 dans la célèbre production de Sir David McVicar que l’on a pu voir à Paris au Théâtre des Champs-Élysées ainsi qu’à Bruxelles en 2000 et 2003. Comme en témoigne la retransmission dans les cinémas de ce samedi 29 février, ce spectacle éblouissant n’a pas pris une ride d’autant que le metteur en scène écossais a pris soin d’apporter à son travail quelques modifications comme par exemple l’utilisation des smartphones. L’action, on s’en souvient, a été transposée de nos jours. L’élément principal du décor est un gigantesque escalier jaune vif surmonté d’un trône qui symbolise le pouvoir. Les costumes ont été actualisés, celui de Néron notamment, correspond tout à fait au look d’un adolescent d’aujourd’hui. Le rideau se lève sur un alignement de tombeaux sur lesquels les protagonistes sont assis et où ils reviendront se coucher à la fin de l’opéra. Entre les deux nous assistons à une succession de scènes hautes-en couleurs, où se mêlent complots, intrigues politiques et amoureuses, trahisons et faux-semblants, le tout ponctué par une série de gags hilarants. L’un des clous de la soirée demeure la fameuse scène du « clavecin-bar » au début de la seconde partie.
Comme à son habitude, le Met n’a pas lésiné sur les moyens en nous offrant une distribution magistrale dominée par l’éblouissante Agrippina de Joyce DiDonato. Si lors de ses récentes prestations scéniques, l’on avait pu déceler dans la voix de la cantatrice quelques traces d’usure prématurée, il n’en est rien ici. La mezzo-soprano américaine affiche une santé vocale à toute épreuve, se jouant de toutes les difficultés de sa partie, trilles, vocalises et autres ornementations s’enchainent avec aisance sans oublier cette superbe messa di voce au début de l’air « Pensieri voi mi tormentate » l’un des sommets de son interprétation. Théâtralement la chanteuse se plait à camper avec délectation ce personnage manipulateur et délicieusement machiavélique. A ses côtés Brenda Rae effectue des débuts éclatants sur la première scène new-yorkaise, sa Poppée pulpeuse et sensuelle ne manque pas de charisme, de plus la soprano vocalise avec une rapidité étourdissante et se plait à interpoler dans sa partie quelques contre-notes qui font mouche. Kate Lindsey est impayable en adolescent déjanté, couvert de tatouages, qui à l’occasion sniffe quelques lignes de coke pour se détendre. Vocalement ce Néron est impeccable de style. Matthew Rose possède un timbre de bronze et les graves profonds que demande sa partie sont bien présents. Dans l’espoir de séduire Poppée, il se livre au deuxième acte à un strip-tease hilarant, sorte de version masculine de celui d’Alice Sapritch dans La Folie des grandeurs de Gérard Oury. Le contre-ténor Iestyn Davies est un Ottone au timbre soyeux qui interprète ses airs avec élégance et précision. En Pallante et Narciso, le baryton Duncan Rock et l’autre contre-ténor Nicholas Tamagna forment un duo qu’unit une réjouissante complicité. Enfin, les interventions de Christian Zaremba n’appellent que des éloges.
Harry Bicket adopte des tempos contrastés et sait varier les coloris de l’orchestre afin d’éviter tout sentiment de monotonie et rendre pleinement justice à cette partition foisonnante d’un Haendel âgé d’à peine 24 ans. En dépit des instruments modernes sa battue s’inscrit dans une esthétique baroquisante. Si son clavecin sonne magnifiquement, au cinéma le continuo avec le violoncelle a paru quelque peu envahissant surtout dans la première partie, impression que n’auront sans doute pas ressentie les spectateurs au théâtre.
Au cours de l’entracte un hommage émouvant a été rendu à Mirella Freni.
Le samedi 14 mars, le Metropolitan Opera diffusera dans les cinémas du réseau Pathé Live Le Vaisseau fantôme de Wagner dirigé par Valery Gergiev.