Voilà une réalisation qui nous laisse quelque peu perplexe : des œuvres – intéressantes, rares et remarquablement interprétées – assemblées par Sébastien Daucé, aidé de Thomas Lecomte, œuvres dont rien n’atteste qu’elles furent jouées à cette occasion, dans un cadre inapproprié. N’eût-il pas mieux valu préférer la cathédrale de Reims à la belle Chapelle de Versailles, anachronique, mais surtout limitant le faste promis, restreint ici à la musique ? Le titre (« sacre royal », alors que, par définition, seuls les souverains y accèdent), commercial, est également trompeur, puisqu’avant celle de Louis XVI (Giroust) puis celle de Charles X (Cherubini), il n’y eut jamais de messe autre que celle du jour chantée pour le sacre. Ici, on ignore tout de cette dernière, complétement occultée, pour un assemblage intéressant étonnamment privé de Credo.
En 1949, le R.P. Emile Martin, qui dirigeait les Chanteurs de Saint-Eustache, révéla une Messe du sacre des rois de France qui éblouit, dans un premier temps, puis fut enregistrée (avec Jean Giraudeau et Marie-Claire Alain), jusqu’à ce que Félix Raugel, après avoir émis des doutes sur son authenticité (attribution à Etienne Moulinié), conduise l’interprète à avouer qu’il en était l’auteur. Pour sa défense, le R.P. Martin affirmait que s’il révélait ses sources, « on verrait une nuée de musicologues (…) qui reconstitueraient une messe du sacre fantaisiste ». Prophète ?
Les recherches de Sébastien Daucé lui ont permis de « composer un programme musical » pour « évoquer par une grande fresque sonore un moment particulièrement fastueux de l’histoire de France ». Pour hypothétique qu’elle soit, cette proposition ne manque pas de vraisemblance. C’est en tous cas le moyen de découvrir un monde sonore et des pièces rares, dans une interprétation exemplaire. Le programme s’articule chronologiquement autour de huit chapitres, dont, seul, le septième réalise la messe du couronnement. L’ordo, polyphonique, sans le Credo, est emprunté à Charles d’Helfer et Etienne Moulinié, une partie du propre appartient au plain-chant ou à un répertoire polyphonique anonyme. Une sonate à douze de Cavalli fait suite au Gloria, opportunément. Les précédents chapitres nous font suivre le futur roi, depuis son entrée à Reims, avec les processions pour la reine-mère, l’entrée à la cathédrale, l’arrivée de la Sainte-Ampoule avant le serment du futur roi et la bénédiction de l’épée, la présentation de la couronne, du sceptre et de la main de justice. Le dernier chapitre correspond à l’ouverture triomphale des portes de la cathédrale. Les textes chantés ont en commun d’exalter les vertus extraordinaires du souverain et d’appeler sur lui la faveur céleste.
La réussite musicale est incontestable, accomplie. La direction inspirée de Sébastien Daucé lui permet d’animer l’ensemble, dans ses différentes composantes, souvent éclatées. Son souci de l’articulation, de la dynamique et de la précision est manifeste. Le chant, qu’il soit recueilli ou bondissant et jubilatoire est un constant régal. Parmi les solistes nous reconnaissons nombre de visages connus, dont les qualités d’émission font ici merveille. L’ensemble instrumental, coloré, équilibré, se prête idéalement aux évolutions ou à la spatialisation des groupes. Les pavanes (assorties de leur gaillarde) sont festives. Quant aux Pages de la Chapelle royale, préparés par Olivier Schneebeli, leur fraîcheur et leur précision sont admirables. Dès le Tota pulchra es polyphonique, chanté depuis la tribune, c’est le bonheur. Le principal mérite de cet enregistrement réside dans la découverte d’un répertoire fort peu fréquenté mais dont l’intérêt est manifeste. Le motet Sacris solemnis de Jean Veillot, à double chœur, préfigure ainsi ce que sera le grand motet versaillais. Beaucoup de pièces anonymes tirées des manuscrits Deslauriers et de Tours sont remarquables. Particulièrement les faux-bourdons, splendides, mais aussi ce Domine salvum fac regem, avec un double chœur puissant. A partir du troisième, chacun des « chapitres » s’achève par une pièce le plus souvent grandiose, parfois spatialisée. Cavalli a sa place avec un très beau Dixit Dominus. On retiendra aussi In lectulo meo, motet avec écho de Henry Du Mont. Que de découvertes ! Répétons-le, le programme est composé avec soin et interprété de façon exemplaire, malgré les réserves émises relatives à la présentation et à un cadre royal, certes, mais réducteur. La mise en espace (Mickaël Phelippeau et Marcella Santander) use intelligemment des possibilités qu’offre la Chapelle pour donner vie au montage et éviter la lassitude du concert traditionnel. Le chœur, la tribune, les déambulations renouvellent l’attention et organisent cette parodie de cérémonial. Les jeux de lumière, les cadrages et travellings sont réussis.
Les plages du DVD ne sont accessibles qu’à l’aide d’une recherche fastidieuse, la brochure d’accompagnement ne comportant aucun minutage. D’autre part, les œuvres sont décrites de façon fort imprécise (rien n’indique, par exemple, l’origine du Kyrie, du Gloria et du Sanctus, d’une des quatre messes de Charles d’Helfer). Ces remarques – mineures – altèrent également une réalisation musicale irréprochable.