A l’heure où la présence en masse de personnes « racisées » sur la scène de Bastille fait figure d’événement, il est bon de se rappeler que l’art lyrique n’a jamais été l’apanage des Blancs. Même s’il fallut attendre 1955 et l’Ulrica de Marian Anderson pour qu’une chanteuse africaine-américaine foule les planches du Met, il y eut aux Etats-Unis bien des artistes lyriques noirs avant elle, et leur contribution ne se résume pas à avoir chanté Treemonisha ou Porgy and Bess. C’est tout le mérite du CD Black Swans (du nom du label Black Swan Records fondé en 1921) que d’attirer l’attention sur ces chanteurs qui enregistrèrent certes plusieurs disques de gospel, mais qui pratiquaient aussi le grand répertoire occidental. Il ne s’agit pas ici de découvrir d’immenses voix scandaleusement négligées, mais simplement de prendre conscience de l’existence de ces « black classical performers » dont les talents furent immortalisés au cours des premières décennies du XXe siècle, entre mai 1918 et début 1922 pour être très précis.
Fait remarquable, ces artistes enregistraient leurs airs dans la langue originale, ce qui n’était alors pas si courant. C’est donc en français que Florence Cole-Talbert (1890-1961) se lance avec courage, et même un peu de témérité, dans les Clochettes de Lakmé ; on admire ici son art du trille et des notes piquées, mais aussi l’entrain qui caractérise son interprétation du Bacio d’Arditi, très guillerette valse 1900. Sa contemporaine la contralto Hattie King Reavis a notamment enregistré « There is a Green Hill », tube de Gounod dans les pays anglo-saxons, qu’ont également gravé John McCormack, Paul Robeson (cette œuvre occupe la plage 13 et non la 14, contrairement à ce qui est indiqué dans le livret). C’est en italien qu’on entend le ténor Roland Hayes (1887-1976) faire le grand écart entre Nemorino et Canio ; la soprano Antoinette Smythe Garnes serait née la même année, et si sa Gilda parle anglais, c’est bien dans la langue originale que sa Violetta lance son « Sempre libera ». Le doyen des artistes présents est néanmoins Harry Burleigh (1866-1949), qui aurait fait découvrir à Dvorak la richesse des Negro Spirituals lors de son séjour aux Etats-Unis.
1 CD Parnassus PACD 96067 – 79 minutes