N’en déplaise aux thuriféraires des voix, l’opéra ne serait pas un genre en soi s’il ne célébrait l’union du théâtre et du chant. Sans revenir sur l’éternelle question de la relation entre texte et musique, on sait que le spectacle lyrique scénique est susceptible de prendre les formes les plus diverses, le dosage entre ses composantes évoluant selon les préférences nationales et les goûts d’une époque. Ce qui est sûr, c’est que sa naissance est directement liée à l’histoire du ballet de cour, que le faste visuel y eut d’emblée sa place, et que les représentations en vinrent très vite à exiger des salles équipées de machines et dessous. Autrement dit, sans théâtre, point d’opéra.
C’est notamment ce que vient fort opportunément rappeler l’exposition présentée à la Bibliothèque-Musée de l’Opéra de Paris, qui célèbre le Grand Opéra à la française, en attribuant au phénomène des bornes chronologiques certes un peu arbitraires (1828-1867), mais « il faut bien faire un choix », comme dirait Platée. Sans décors de Ciceri et sans ballet des nonnes défuntes, Robert le diable aurait-il connu le même succès ? Sans éclairage électrique et Pas des patineurs, Le Prophète serait-il devenu une œuvre aussi emblématique ?
Pourtant, la composante visuelle du genre semble aujourd’hui sinon menacée, du moins contestée. A ceux qui se plaignent de la dictature des metteurs en scène, qui déclarent fermer les yeux lorsqu’ils vont désormais à l’opéra et qui se réjouissent quand les grèves techniciens les privent de spectacle, la version de concert semble offrir une réponse idéale. De fait, on voit depuis quelques années se multiplier les propositions intermédiaires. Loin de l’immuable rang d’oignons, de la brochette de solistes en robe du soir ou queue de pie qui ne lèvent pas toujours le nez de leur partition, il est désormais possible d’assister à des concerts offrant tout le confort scénique, ou presque. Dernièrement, c’est le Benvenuto Cellini présenté à la Côte Saint-André et à Versailles qui faisait ainsi l’unanimité : du mouvement – devant, derrière, autour et à travers l’orchestre occupant l’essentiel du plateau –, des costumes correspondant au profil des personnages, un figurant peu vêtu, et tout le monde semblait ravi. On a même vu des opéras de Haendel en concert où les chanteurs étaient tellement acteurs qu’ils parvenaient à nous faire oublier l’absence de tout cela.
Le semi-scénique, solution d’avenir ? C’est ce que l’on voudrait pouvoir croire en découvrant le programme des Chorégies 2020. Bien sûr, le mur du Théâtre d’Orange ne se prête pas toujours bien à l’ajout de décors construits, mais les projections vidéo laissaient espérer un renouveau des spectacles, à la mise en place rendue moins lourde, surtout dans un lieu dont l’accès est accordé au compte-gouttes à la direction du festival. Malgré tout, on frémit en découvrant qu’il n’y aura finalement qu’une seule véritable représentation cet été : le Samson et Dalila monté pour un soir par Jean-Louis Grinda (jusqu’à quel point y reconnaîtra-t-on la production qu’il a signée à Monte-Carlo en novembre 2018 ?), avec Roberto Alagna, Marie-Nicole Lemieux et Ludovic Tézier. L’autre « spectacle » marque un retour au répertoire des Chorégies des décennies précédentes, puisque La Force du destin y a été donné en 1996, mais sera présenté sans décors ni costumes. Le directeur se veut rassurant : « plutôt que de proposer une simple version concertante, il s’agira d’une véritable mise en espace avec mouvements de chœurs, entrées, sorties et mise en lumière du mur. C’est un coup d’essai qui ne doit pas devenir la règle ». Il y a malgré tout un petit goût d’improvisé dans cette Forza : qui la mettra en espace ? Le dossier de presse ne le précise pas. Qui chantera le rôle d’Alvaro ? On l’ignore encore.
Autrement dit, le Père Noël nous avait apporté de beaux cadeaux l’an dernier, mais cette fois, il faudra faire un peu ceinture. Tant mieux pour ceux qui n’aiment pas le théâtre, tant mieux pour ceux qui n’ont pas besoin de spectacle total. Pour les autres, les petits souliers sembleront quand même bien moins remplis.