Quand les musiciens manquent de compositeurs à célébrer, ils ont maintenant la ressource d’aller puiser chez les peintres. Ceux-ci, même quand ils n’ont pas explicitement représenté des chanteurs ou des instrumentistes, ont au moins pu baigner dans une certaine atmosphère musicale, et il est tentant de se raccrocher au chariot médiatique des commémorations. En 2020, on fêtera donc le 250e anniversaire de la mort de Tiepolo, et la Staatsgalerie de Stuttgart a prévu une grande exposition qu’est censé accompagner le disque Echoes of the Grand Canal, qui veut nous faire entendre la musique vénitienne que put écouter le grand fresquiste. De fait, il n’est pas trop difficile de trouver des liens entre Giambattista Tiepolo et les compositeurs contemporains. Pour Vivaldi, la chose est assez évidente, même si le Prêtre roux est son aîné d’une génération. Pour Hasse avait lui aussi des liens avec la Sérénissime et composa pour l’Ospedale degl’Incurabili. Moins connu du grand public, Giovanni Benedetto Platti fut « probablement » représenté par le peintre sur l’un des plafonds de la Résidence de Wurtzbourg, « supposition que l’on ne peut malheureusement pas prouver », écrit Doris Blaich dans le livret d’accompagnement. Quant au Dalmate Sigismund Martn Gajarek, il est passé par Venise en 1721, d’où son inclusion dans cette « playlist pour Tiepolo ». On évitera cependant de pinailler le choix des œuvres, l’essentiel étant au fond que ce CD propose un programme cohérent et convaincant ; on y relève par ailleurs deux inédits au disque, émanant des moins illustres des quatre compositeurs réunis.
Dans la mesure où le disque s’inscrit dans une série comptant déjà plusieurs enregistrements réalisés par l’excellent ensemble Diderot, avec à sa tête Johannes Pramsohler, on ne s’étonnera pas qu’il accorde une place importante à la musique instrumentale. On trouvera ici une alternance entre pages destinées au seul ensemble – avec toujours cette qualité de prise de son, à la fois aérée et proche de l’auditeur, qui caractérisait les précédents CD de l’ensemble chez le label Audax – et pièces vocales. Le susnommé Platti est représenté par deux œuvres de fort bonne facture, de style assez vivaldien, dont un concerto qui met en avant le claveciniste Philippe Grisvard.
Les lecteurs de Forum Opéra seront plus directement concernés par les trois pages où l’ensemble Diderot s’est adjoint le concours de Diana Haller. Remarquée dans les rôles-titres d’Ariodante à Stuttgart et de Tancredi à Bad Wildbad, entre autres, cette mezzo-soprano croate possède une voix superbe, dense et dramatique, la splendeur du timbre se combinant à une virtuosité à toute épreuve. L’habitude des planches l’aide sans doute à sculpter la déclamation des récitatifs. Dans les airs, on admire l’engagement d’une artiste qui n’hésite pas à prendre des risques pour offrir une interprétation vraiment enthousiasmante, avec d’impressionnants sauts d’octaves et des aigus où on la sent à la limite de ses possibilités. En tout cas, rien de lisse, rien de tiède, et c’est ce qui fait tout le prix de ce disque.
Quelques mots sur les trois œuvres. Le motet In furore est un tube vivaldien, dont est proposée ici une version proche de l’idéal, qui évite autant l’indifférence que l’histrionisme.
En 1721, c’est comme étudiant que Gajarek vint à Venise, et il subit assez naturellement l’influence de Vivaldi, un certain art de l’ostinato notamment. Sa cantate Armida disperata évoque tout à fait les compositions du maître.
Le disque se conclut sur un motet de Hasse, mais aussi différent que possible d’In furore. Dans le texte en latin, il n’est plus du tout question de châtier le misérable pécheur, mais de la joie de l’âme irradiée par la lumière divine. Et surtout, l’écriture du compositeur hambourgeois se distingue nettement de celui de Vivaldi : s’il fait lui aussi appel à la virtuosité de l’interprète, c’est dans un style galant assez peu comparable. Mais l’inclusion de cette très belle page se justifie aussi par son texte, qui décrit des nuages rougeoyants tels que Tiepolo en a peint