Comme le dit fort bien le préambule de notre Encyclopédie subjective du ténor, il y en a pour tous les goûts, des ténors : des barytonnants, des sans aigu, des grands, des petits… Et puis, comme nous le rappelions lors de son décès, il y a ceux qui, comme Michel Sénéchal semblent nés pour chanter les grenouilles, ainsi que quelques autres créatures étranges : les poètes asexués, les théières en porcelaine britannique, les petits vieillards qui débitent des problèmes de robinet, les assassins collectionneurs d’épouses… Si, à ces débuts, Michel Sénéchal trouva à s’employer comme ténor mozartien, s’il s’essaya dans le grand répertoire français, il devint très vite évident que sa nature le destinait à des personnages bien particuliers, à ces rôles qu’on dit « de caractère ».
En l’intégrant à sa série d’hommages à la défunte Troupe de l’Opéra de Paris, le label Malibran rend à Michel Sénéchal le meilleur des services possibles, puisque le programme de ce disque ne nous le montre, pour ainsi dire, que dans les rôles qui lui convenaient et dans lesquels son profil vocal serait encore apprécié : les haute-contre à la française, l’opéra-comique de Boieldieu jusqu’à Delibes, l’opérette, et ces œuvres de Ravel où il semble insurpassable, L’Heure espagnole où il est un Gonzalve suffocant de raffinement alambiqué, ainsi que la partition l’exige, et L’Enfant et les sortilèges où, non content d’être une terrifiante incarnation de l’Arithmétique, il est aussi la plus éloquente des Rainettes, et une parfaite théière en Wedgwood.
C’est par la reine des grenouilles, la nymphe Platée, que s’ouvre (chrono)logiquement ce parcours. En exhumant l’opéra bouffon de Rameau, le festival d’Aix-en-Provence révélait non seulement une œuvre, mais aussi un interprète. Evidemment, en 1956, la France était encore loin de la renaissance baroqueuse qu’elle allait connaître trois décennies plus tard, mais par bonheur, l’extrait choisi ici nous épargne les tempos d’escargot et les semelles de plomb que chaussent ailleurs les instrumentistes. Zémire et Azor va très bien à Michel Sénéchal, mais il faut s’attendre un Achille plus galant qu’héroïque dans Iphigénie en Aulide.
Pour Mozart, excellent choix aussi : non pas un improbable Tamino ou Ottavio en français, comme cela se faisait à l’époque, mais un Pedrillo en allemand. Double satisfaction, d’entendre le chanteur dans un rôle à son exacte mesure, et dans la version originale qui plus est.
La Dame blanche et Le Comte Ory étaient deux piliers du répertoire de Michel Sénéchal, où il excelle par la qualité de sa diction et par l’ironie dont l’artiste était toujours capable. On regrette que Si j’étais roi et Le Roi l’a dit aient disparu des scènes depuis plusieurs dizaines d’années, car il y a fort à parier que leur redécouverte ravirait le public. Avec Vincent de Mireille et Wilhelm Meister de Mignon, Michel Sénéchal atteint en revanche ses limites car malgré tout son art, il n’avait pas la couleur souhaitée pour ces rôles. Autant le dire tout de suite, le bonus du disque, une cavatine de Faust enregistrée à 20 ans avec accompagnement de piano, nous montre le ténor sous un assez mauvais jour, avec une préciosité et une surarticulation totalement hors de propos. Tout aussi invraisemblable, Pinkerton, non pas à cause de la VF, mais tout simplement parce que l’interprète est à cent lieues de la voix du rôle.
Mais, on l’a dit, il y a Ravel ! Si la version de studio de L’Enfant dirigée par Lorin Maazel est bien connue, on prêtera une oreille attentive au live de L’Heure espagnole sous la baguette de Peter Maag, où ce Gonzalve d’anthologie exhale ses « Impressions d’hamadryade »…
Et même si l’opérette n’en vint que sur le tard à constituer l’ordinaire de Michel Sénéchal, on est bien aise de l’entendre en pleine possessions de ses moyens dans un Barbe-Bleue auquel il devait prêter cette truculence qui fit jusqu’au bout tout le sel de ses incarnations.