Maeterlinck, oui, bien sûr. Maeterlinck est inévitable dès qu’on parle de symbolisme dans la Belgique fin-de-siècle, Pelléas reste un sommet dont Ariane et Barbe-Bleue peine à s’approcher, sans parler de Monna Vanna d’Henry Février. Et Maeterlinck est présent dans le disque que le label Musique en Wallonie consacre à Eugène Samuel-Holeman (1863-1942). « Et s’il revenait un jour », l’une des mélodies figurant en fin de programme, a également inspiré Zemlinsky, Respighi ou Déodat de Séverac, entre autres.
Oui, mais il n’y a pas que Maeterlinck. La pièce de résistance du disque, La Jeune Fille à la fenêtre, œuvre pour mezzo-soprano et orchestre de chambre d’une durée de trois quarts d’heure, s’appuie sur un texte – une « prose lyrique » – signé Camille Lemonnier. Ecrivain surnommé « le Zola belge » mais plus proche de décadents comme Huysmans et Péladan, critique d’art favorable à des artistes comme James Ensor et lui-même cousin de Félicien Rops, Lemonnier fut l’un des principaux intellectuels belges autour de 1900. De son roman Un mâle il tira le livret d’un opéra, Cachaprès, mis en musique par Francis Casadesus et créé à La Monnaie en 1914. Pour le reste, MUSIQUE ???
Avec La Jeune Fille à la fenêtre, nous sommes à mi-chemin entre Bruges la Morte de Rodenbach et Le Rêve de Zola : c’est le monologue d’une dentellière qui observe un paysage urbain (canal, pont, église, crucifix) sous la neige, c’est une jeune fille qui se souvient de ses trois sœurs, qui fabrique une dentelle comme son propre linceul, et qui attend un prince charmant qui ne viendra jamais. Une situation qui colle au monde des symbolistes belges, un univers digne de Khnopff ou de Xavier Mellery. D’ailleurs, quand ce texte mis en musique connut une création scénique, ce fut dans un décor dû à William Degouve de Nuncques. Et les belles illustrations de ce livre-disque montrent bien tout ce que le compositeur partage avec les peintres symbolistes.
Car il faut bien en arriver à la musique. Eugène Samuel, ami de Maeterlinck et de Verhaeren, époux de la peintre Marguerite Holeman, composa essentiellement entre 1898 et 1914. De 1904-1906 date La Jeune Fille à la fenêtre, et l’oreille est aussitôt saisie par l’effectif instrumental inhabituel (harpe, cor, hautbois et cordes) qui, joint au raffinement de l’écriture, convoque inévitablement le souvenir des expériences d’un Ravel dans ce domaine, avec même un petit côté Nuit transfigurée ici et là. Samuel-Holeman ne s’y exprime pas moins dans un style personnel. Après un prélude purement orchestral d’une dizaine de minutes, la voix fait son entrée, avec une déclamation qui rappelle bien sûr Pelléas, mais en plus lyrique, avec des lignes plus franchement mélodiques (le Massenet de Cendrillon n’est pas très loin), au gré d’un texte répétitif à la Péguy. La mezzo Pauline Claes, encore peu connue en France malgré sa participation aux représentations de Lakmé à Metz en 2013, possède une diction claire et un timbre chaud. La partition ne l’amène pas à sortir d’une zone de confort assez centrale (Jane Bathori, créatrice de l’œuvre, était essentiellement une interprète de mélodies). Pour un « opéra de chambre », il n’y a guère d’action dans ce monologue, évidemment.
Des trois mélodies qui complètent le disque, on retiendra surtout la dernière, « Adieu », de 1909, où règne comme une incertitude tonale, sur un étonnant tapis pianistique. Le texte reste ancré dans l’univers symboliste fin-de-siècle, mais la musique, elle, révèle une connaissance d’expérimentations plus hardies, plus récentes. Dommage que Samuel-Holeman, dans une situation pécuniaire peu enviable, n’ait plus guère eu le loisir de composer après la Première Guerre mondiale.