Après un disque Monteverdi aux options assez discutables, et un détour par Cole Porter, Magdalena Kožená reprend le chemin de l’Italie, mais en avançant dans le temps, puisque c’est à la musique du début du XVIIIe siècle qu’est consacré ce nouveau récital. Très exactement, le programme va de 1696, date de l’opéra Atalia de Gasparini, jusqu’aux années 1730 dont datent, sans qu’on puisse être plus précis, les œuvres de Marcello et de Leonardo Leo.
Autant le dire tout de suite : cette fois, l’adéquation entre la chanteuse et le répertoire choisi apparaît comme une évidence. Lorsqu’elle fit ses premiers pas en France, sous la direction de Marc Minkowski, c’était avec de petits rôles dans les opéras de Rameau ou de Gluck. La musique italienne antérieure de quelques décennies offre à la mezzo morave une parfaite occasion de faire briller les différentes facettes de son talent : virtuosité sans faille, les œuvres réunies incluant en général un recours à la pyrotechnie, et dramatisme prenant, puisqu’il s’agit aussi de faire vivre des héroïnes l’espace de quelques minutes ou dizaines de minutes. Magdalena Kožená trouve immédiatement le ton juste, elle dose à la perfection ses effets, sans qu’on puisse jamais lui reprocher d’en faire trop : les accents qu’elle prête à Ariane, à Héro ou à Athalie sont toujours bienvenus, et c’est ici la tragédienne que l’on admire. Quand la voix doit virevolter, même enchantement, avec un sens très sûr de l’ornementation, qui sait introduire de la variété sans défigurer la ligne, notamment dans la très « galante » cantate Angelica e Medoro de Leonardo Leo.
Faut-il attribuer la réussite de ce disque à la complicité qui s’est établie entre la soliste et ses compatriotes, le chef Václav Luks et son ensemble, le Collegium 1704 ? Depuis les représentations d’Arsilda de Vivaldi, on savait que ces instrumentistes s’épanouissaient dans la musique italienne du premier XVIIIe siècle. C’est ici confirmé dans tous les passages orchestraux, où Václav Luks parvient lui aussi à dépasser la joliesse décorative pour véritablement exprimer le sens de ces partitions, sans raideur aucune : la sinfonia d’Agrippina paraîtra peut-être moins emportée qu’on ne l’a parfois entendue, mais les toutes premières plages du disque – l’ouverture en trois parties de la cantate Arianna abbandonata, de Marcello – illustrent bien cet art de porter la musique sans jamais la brutaliser.
A l’heure où les labels s’empressent de multiplier les astérisques dès qu’une œuvre enregistrée l’est pour la première fois, on s’étonne de la discrétion avec laquelle Pentatone procède dans ce domaine. Magdalena Kožená parle dans son texte d’accompagnement de « pièces qui n’ont plus été interprétées depis qu’elles ont été composées », et le musicologue Giovanni Andrea Sechi se voit crédité de la recherche et de l’édition des partitions : le Gasparini a pourtant déjà été immortalisé par Blandine Staskiewicz (quand l’oratorio Atalia sera-t-il enregistré dans son intégralité ?) mais la question reste ouverte pour les pages de Leo et de Marcello, qui figurent peut-être pour la première fois sur un disque.
Le programme se termine sur une cantate de Haendel qui, elle, a déjà été gravée, mais bien moins souvent que d’autres que l’on retrouve dans presque tous les disques, comme la Lucrezia ou son Armida abbandonata. On y entend un air qui sera plus tard repris dans Agrippina, et l’on songe au passage que Magdalena Kožená défendrait sans doute fort bien ce rôle sur scène, Joyce DiDonato n’étant sûrement pas la seule à pouvoir camper ce personnage aujourd’hui.