Lorsqu’il arrive à Anvers en 2008 à l’âge de 33 ans, Aviel Cahn est le plus jeune directeur d’opéra en Europe. Zurichois de naissance, il a étudié le piano, le chant et le droit, a dirigé sa propre agence artistique, a programmé la première saison du China National Symphony Orchestra, a pris en charge la planification de l’opéra d’Helsinki où il a fait sensation avec une production à grande échelle d’Il viaggio a Reims – Rossini déjà –, avant d’être nommé à la tête du Stadttheater Bern. Là, il a fondé le premier concours international pour jeunes chanteurs en Suisse, a invité des réalisateurs et artistes d’importance tout en offrant sa chance à la création contemporaine. A peine ses valises posées en terre flamande, Aviel Cahn renouvelle les équipes et crée un département dramaturgie chargé d’ancrer le répertoire dans l’actualité. Convaincu de la dimension politique de l’opéra, de son universalité et de son rôle clé dans notre société, l’homme est aussi amoureux des voix. Il ne faut pas chercher ailleurs la recette d’un succès couronné par plusieurs prix tout au long de son mandat à la tête de l’Opéra des Flandres : s’ils posent question à bon escient, les spectacles proposés sur les scènes d’Anvers et de Gand n’ont jamais négligé la qualité musicale. L’esprit Cahn se résume en cette maxime écrite sur un mur du réfectoire : « Nous sommes la maison de l’opéra, créative et passionnée, pertinente et actuelle. Nous partageons notre passion avec tous. »
Appelé la saison prochaine à prendre la direction du Grand-Théâtre de Genève, cet agitateur culturel publie un livre en forme de bilan sur ses dix années flamandes. D’autres l’ont fait avant lui. L’exercice s’apparente alors à une compilation de photos, par ordre chronologique, des productions de leur mandature. Pas Aviel Cahn. Celui qu’un journal flamand baptisa en gros titre le « Suisse juif » lors de son arrivée à l’Opéra des Flandres refuse de considérer l’art lyrique comme un pur divertissement. Le texte de l’ouvrage, en quatre langues pour être compris de tous, importe plus que les images rassemblées en fin de volume. Politique et religion en tissent la trame, entre analyses, témoignages et interviews. Le titre même est éloquent : « Opera out of the box », avec en dessous, non sans une certaine fatuité, « 2009-2019, les années Cahn à l’Opéra des Flandres ». Homme de culture mais également de communication, Aviel Cahn sait que bien faire ne suffit pas ; il faut aussi le faire savoir.
Ces dix années indubitablement furent fructueuses et injustement peu commentées en France. Pourtant… D’un Samson et Dalila liminaire confié à deux jeunes metteurs en scène, un Israélien, Omri Nitzan et un Palestinien, Amir Nizar Zuabi, volontairement critiques envers la politique israélienne dans les territoires occupés, à la création des Bienveillantes il y a quelques mois, décrite par notre confrère Bernard Schreuders comme « une expérience perturbante », les saisons d’Aviel Cahn furent riches d’interrogations autant que d’émotions. Tourner les pages du livre ravive les souvenirs de spectacles parmi les meilleurs qu’il nous ait été donné d’applaudir ces dernières années. Subversifs, polémiques certes mais aussi esthétiques et lisibles. A défaut de se lancer dans une énumération subjective, il suffit de comparer les productions flamande et parisienne de Lady Macbeth de Mtzensk, avec dans les deux cas Ausrine Stundyte en Katerina, pour comprendre qu’Aviel Cahn en Flandres a réussi là où Stéphane Lissner à Paris a échoué : légitimer la place de l’opéra dans notre monde aujourd’hui.