Après la réussite de la Traviata, Jérémie Rhorer revient au Théâtre des Champs-Elysées ce jeudi 21 mars pour la reprise d’Ariane à Naxos mise en scène par Katie Mitchell, et donnée en juillet dernier au Festival d’Aix-en-Provence. Le chef d’orchestre justifie ici son souhait de valorisation du travail effectué par Richard Strauss et nous présente brièvement les projets du Cercle de l’Harmonie.
Comment s’est passée cette reprise de production ?
Très bien ! Dans la mesure où c’est une reprise, on ne peut pas imaginer la collaboration d’une autre manière puisque le travail avec le metteur en scène n’est pas au centre de la réalisation de l’objet final. D’autant plus que Katie Mitchell n’était pas présente pour cette reprise. Du point de vue de la mise en scène, c’était surtout un replacement technique qui a d’ailleurs été talentueusement opéré par son assistante. Cette configuration m’a beaucoup poussé à mettre le Compositeur et son œuvre au centre du travail de mise en place d’Ariane. Cela m’a aussi permis d’avoir un parcours un peu autonome dans la reprise de cette production, ce qui n’est pas un problème, compte tenu de la densité de l’œuvre, de son degré d’aboutissement, et de sa popularité.
Est-ce la première fois que vous touchiez à ce type de répertoire ?
A l’opéra oui. Cela dit, je considère que l’œuvre opératique de Strauss est très liée aux orientations symphoniques qu’il a prises très jeune. C’est un compositeur qui s’est tourné essentiellement vers le processus narratif en musique, au travers de poèmes symphoniques qui finalement constituent le lien le plus direct entre la musique symphonique et l’écriture opératique. Il y a un lien très dénué, et en particulier au début de sa production; puisque que malgré le sommet du Chevalier à la Rose, avec Ariane on se situe plus au début qu’à la fin. Le lien avec les poèmes symphoniques et ce qu’il s’est construit comme maitrise dans ses poèmes symphoniques, c’est-à-dire, la force du langage harmonique dans la narration et la dramaturgie, est déjà complètement vaste.
Quels sont, pour un chef, les appréhensions dans ce type d’ouvrages lyrique ?
Chez Strauss, il y a une dimension à la fois d’héritage, et de synthétisme. Les langages des autres maîtres de l’opéra sont complètement intégrés et il n’y a pas d’évolution dans la manière de traiter la vocalité. Au contraire, ici, il y a un synthétisme absolu et glorieux. La difficulté d’Ariane réside, quant à elle, davatange dans la souplesse technique, les réflexes qu’impliquent le prologue, à la fois dans sa construction par bloc, et dans la ligne générale à trouver.
Appréciez-vous ce répertoire ?
Complètement ! C’est la musique dont je me sens le plus proche avec Puccini. Ce n’est pas celle que je dirige le plus (rires).
On ne pense pas forcément à Puccini quand on parle de vous !
Oui je sais bien ! Mais j’aime vraiment cette dernière partie du romantisme, Mahler, Tchaïkovski, Wagner, Strauss, Puccini, etc.
Quels seront vos prochains projets d’opéra ?
Et bien paradoxalement, je dirigerais deux Mozart : un Don Giovanni à l’Opéra de Rome et Les Noces de Figaro au Théâtre des Champs-Elysées.
Une production avec Vannina Santoni et Stéphane Degout…
Tout à fait ! Par ailleurs, je connais très bien le metteur en scène, James Gray, et je suis un peu à l’origine de la collaboration, dans le sens où j’avais suggéré certains noms, dont celui-ci, à Michel Franck. J’ai une admiration absolue pour son travail, et j’ai pu vérifier, en le rencontrant plusieurs fois, sa connaissance aigüe de tout le répertoire classique, symphonique comme lyrique, et de toute la musique contemporaine. C’est quelqu’un qui a une sensibilité musicale extrêmement développée.
Aimiez-vous le travail de Katie Mitchell ?
Oui, j’avais vu un certain nombre de choses, et j’ai particulièrement apprécié son Pelléas et Mélisande. Après, d’une manière générale, sur la question de la mise en scène, j’ai quelques préventions par rapport aux démarches conceptuelles.
D’après vous, une mise en scène trop conceptuelle peut porter préjudice à la compréhension de l’œuvre ?
Personnellement, oui, je trouve qu’une démarche trop conceptuelle peu porter préjudice à la compréhension de l’œuvre que le compositeur a voulu donner. Cela ne veut pas dire que la mise en scène doit être dévaluée dans l’approche que j’ai d’une production. Mais cela signifie que je peux avoir davantage d’interrogations dans des visions trop conceptuelles. Quand je travaille pour l’opéra, je souhaite véritablement placer le compositeur et le chef-d’œuvre écrit au centre de la production.
Selon vous, on retrouve cette conceptualisation dans le travail de Katie Mitchell pour Ariane ?
Non pas forcément. Katie Mitchell est une personne très engagée dans un certain militantisme mais qui n’est pas nécessairement applicable à toutes les œuvres. Cette metteuse en scène est une remarquable technicienne. C’est quelqu’un qui a un sens du théâtre très aigu et un sens du rythme particulièrement réussi, et on l’observe notamment dans le prologue de l’opéra. Sa méthode et son style conviennent parfaitement à l’énergie théâtrale de ce prologue.
Comment s’est passé le travail avec la distribution ?
Cela a été un travail très exigeant et très musical. J’avais à cœur de faire respecter au plus près le génie de la prosodie de Strauss, son exactitude et sa science totale de musicien.
Strauss c’est un peu l’allégorie de la compétence musicale et ce, dans tous les domaines : harmonique, dramatique, lyrique, orchestral et vocal. C’est un modèle absolu et indépassable et cela, chacun des chanteurs en a conscience.
Qu’en est-il de l’Orchestre de Chambre de Paris ?
Je suis extrêmement satisfait de leur engagement total dans l’œuvre. Ils ont vraiment pris la mesure de la difficulté stylistique et ont été au service du processus de l’accompagnement vocal avec toutes les exigences et la ténacité et que cela implique.
C’est une œuvre exigeante qui n’est peut-être pas évidente à venir découvrir …
… Oui ! Mais néanmoins, je dois dire que j’ai invité quelques amis non-mélomanes à venir voir la générale de cette production. Une des personnes qui découvrait la musique classique m’a indiqué avant-hier, qu’elle trouvait que la musique de Strauss était « chaude et enveloppante ». Et je trouve ça assez vrai ! D’ailleurs, j’avais un autre ami qui parlait de « bain moussant final ». C’est une image très juste, d’un point de vue sensoriel, de ce que la musique de Strauss génère comme réaction.
Aimez-vous l’oratorio ?
Oui, et d’ailleurs, j’ai une grande prédilection pour les opéras en version concert qui est liée à l’évident génie dramaturgique et théâtral des compositeurs que j’ai l’habitude de jouer : Mozart et pas seulement ! Et en soit, la forme oratorio n’est pas du tout exclue de ce que j’aimerais faire.
Quels sont les projets en cours pour votre orchestre ?
Les projets en cours sont assez nombreux au Cercle ! On a les conséquences de l’expérience verdienne puisque Traviata a été un franc succès. Cela nous ouvre de belles perspectives de concerts et d’enregistrements. On continue à se produire chez nos partenaires fidèles tels que le Festival de Beaune, la Chaise-Dieu, ainsi qu’en Allemagne.
Enfin, on vient d’ouvrir une résidence déterminante pour l’orchestre au Grand Théâtre de Provence où nous avions fait un gala Verdi en décembre dernier. Cette résidence va se décliner en de nombreux aspects autour de deux thèmes principaux : 4 des symphonies les plus emblématiques de Beethoven dans ce qu’elles vont générer comme développement au 19e et un axe plus lyrique autour de Verdi, avec un gala notamment. Il y aura également toute une série d’actions culturelles organisées dans la région.
Traviata, Ariane, Les Noces… le Théâtre des Champs est votre QG !
Oui et je dois dire que cette salle a une dimension affective déterminante. J’y ai entendu mon premier concert et j’y ai chanté pour la première fois comme petit chanteur à la Maitrise de Radio France. Donc cette Ariane a d’autant plus de sens pour moi aujourd’hui.
En réalité, je trouve que le Théâtre des Champs-Elysées est une des plus belles salles de Paris, des points de vue esthétique et acoustique. Elle sert beaucoup des musiques qui y sont jouées mais elle sert encore plus l’aspect chambriste de l’opéra que nous faisons ce soir. C’est une œuvre qui est au centre de plusieurs préoccupations d’écriture de Strauss. Au Théâtre des Champs-Elysées, cette Ariane va sonner dans un écrin absolument parfait !