Selon le titre du volume, ce serait un « Carnet musical », un « Journal musical » selon le titre anglais (Musical Diary). Mozart, lui, parlait d’un « répertoire de toutes mes oeuvres », Verzeichnüss [Verzeichnis, en allemand moderne] aller meiner Werke. La notice du volume parle d’un « catalogue thématique », étant bien entendu que « thématique » signifie que chaque entrée inclut un « thème », c’est-à-dire les premières mesures de chaque morceau répertorié. Ce catalogue est celui que le compositeur tint de 1784 jusqu’à sa mort, et dans lequel il consigna quelques informations sur à peu près toutes les œuvres. Les Editions des Saints Pères en proposent aujourd’hui un fac-similé, ce qui n’est pas tout à fait nouveau, puisqu’un éditeur autrichien en avait fait autant en 1938, puis à nouveau en 1956. Malgré tout, cette nouvelle version remet en lumière ce document d’une importance historique évidente, acheté en vente publique par Stefan Zweig en 1935, prêté puis offert à la British Library.
Contrairement à celui de Don Giovanni, ce catalogue est un picciol libro : une quarantaine de feuillets, format 21 x 16,5 cm. A l’intérieur, non pas mille e tre entrées, mais environ deux cents, présentées par double-page, avec à gauche cinq titres, à droite cinq portées reproduisant l’incipit de l’œuvre. Après avoir passé plusieurs mois à Salzbourg en 1783, c’est peut-être sous l’influence paternelle que Mozart aurait entrepris de tenir les comptes de son ménage et ce catalogue de ses œuvres : il renonça vite aux comptes, mais tint soigneusement le catalogue jusqu’à sa mort. Enfin, soigneusement… La notice signale que « les avis divergent quant au caratère complet du catalogue ». En effet, on y remarque diverses omissions, plus ou moins explicables : on peut comprendre que Davide penitente soit omis, car il s’agit de musique récupérée d’une messe inachevée, mais les deux nouvelles arias y figurent bien, comme de juste ; en revanche, sur les deux airs composés pour la reprise viennoise des Noces de Figaro en août 1789, « Un moto di gioia » n’y est pas, mais « Al desio di chi t’adora » s’y trouve. Allez comprendre ! Sans parler des erreurs manifestes de datation, et des variations dans les indications de tempo ou d’effectif instrumental. Mozart était un génie, mais la minutie n’était sans doute pas son fort.
Le texte de feu Albi Rosenthal, libraire et collectionneur, insiste de manière un peu grandiloquente sur le caractère bouleversifiant du document, allant jusqu’à mettre en avant la supériorité du présent fac-similé sur celui de 1938 qui, bien que « de qualité », « ne reproduisait cependant pas les pages suivant l’ultime entrée de Mozart datée du 15 novembre 1791 et qui, couvertes de portées restées vierges, témoignent du caractère éminemment tragique de la mort précoce du compositeur ». De fait, la présente édition reproduit scrupuleusement les 70 portées restées vierges.
Malgré tout, pour un volume d’un tel luxe (deux volumes toilés réunis dans un coffret), d’un tel prix, et publié par un éditeur français, il est dommage que la traduction française des textes (outre celui d’A. Rosenthal, le défunt musicologue britannique Alan Tyson propose une « Description du manuscrit ») soit aussi truffée de coquilles (« Bristish Museum », « Pêibel » pour « Pöbel ») et d’incohérences (« d’Haendel » et même l’absurde « d’Häendel », là où l’on attendrait de toute façon « de Haendel »), et que la traduction du catalogue proprement dit ne soit pas exempte de transcriptions aberrantes : l’air de concert « Ah se in ciel benigne stelle » devient « Ah seia ciel benigne stelle » (p. 24).