C’est Paul Hindemith lui-même qui réalise le livret d’un opéra consacré à Mathias Grünewald (qui s’appelait en réalité Mathias Gothardt Neithart), auteur vers 1515 du célèbre retable d’Issenheim qu’on peut admirer à Colmar. Hindemith entend par ce choix montrer le dilemme de l’artiste – le sien compris – face à la conscience de la modernité, sa détermination à ne pas lui tourner le dos, tout en s’en remettant au refuge qu’offre le passé.
Hindemith teste d’abord le volet musical de son opéra en construction avec des morceaux orchestraux rassemblés dans une symphonie, baptisée Symphonie Mathis der Maler (le peintre), qui reçoit un accueil très encourageant à Berlin sous la direction de Wilhelm Furtwängler au début de l’année 1934. Le compositeur poursuit donc son travail jusqu’au milieu de l’année. Mais les heures noires dans lesquelles l’Allemagne s’enfonce alors depuis quelques années le rattrapent. On dit qu’Hitler n’apprécie pas les audaces de ce compositeur, ni ses œuvres, même les moins ambitieuses. Il fait donc interrompre les répétitions de Mathis der maler au Staatsoper de Berlin. Le directeur de ce dernier, Furtwängler, réagit à la fois courageusement et avec éclat par voie de presse, dans un article resté célèbre, « Le cas Hindemith », paru dans la Deutsche Allgemeine Zeitung en novembre 1934, provoquant inévitablement l’interdiction totale de l’œuvre et la disgrâce du compositeur (Mais pas celle de Furtwängler, intouchable).
Cette situation conduit Hindemith à aller proposer sa partition ailleurs et ne sera pas pour rien dans son exil hors de cette atmosphère effroyable qui a broyé tant de ses confrères. C’est donc à Zürich que l’œuvre, vaste et ambitieuse, en 7 tableaux, est créée voici tout juste 80 ans, avec un vif succès, avec par exemple Asger Stieg dans le rôle titre et Judith Hellwig dans celui d’Ursula, sous la direction de Robert Denzler. Mathis der maler n’est pas souvent monté par les maisons d’opéra aujourd’hui. Paris l’a pourtant courageusement fait fin 2010 dans une mise en scène d’Olivier Py saluée dans ces colonnes et avec l’incarnation mémorable de Matthias Goerne dans le rôle-titre. Voici un court extrait de la générale de cette production, avec Melanie Diener en Ursula et Gregory Reinhardt en Riedinger, sous la baguette de Christoph Eschenbach.