Nous avons rencontré la soprano Anaïs Constans à Marseille, alors qu’elle était la Voix Céleste dans Don Carlo. Depuis quelques jours, elle incarne Micaëla dans Carmen au Théâtre du Capitole, avant d’aborder bientôt les rivages belcantistes.
En parallèle de votre cursus au CRR de Toulouse, vous avez suivi des études de musicologie à l’université. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre parcours ?
Il faut savoir que je viens d’une famille qui ne pratique pas du tout la musique classique. Lorsque j’étais collégienne, une copine violoncelliste m’a initiée à la musique classique. Au lycée, j’ai intégré la spécialité musique, option musique lourde, et c’est ce qui m’a d’ailleurs permis d’avoir une mention au baccalauréat (rires). A l’issue de mon bac j’ai voulu entrer au Conservatoire de Toulouse et à la Faculté de musicologie car je ne voulais pas devenir une chanteuse bête ! Je voulais acquérir des notions d’histoire de la musique et d’analyse des œuvres. Ces études m’ont permis d’avoir des clefs pour étudier et comprendre les partitions, les livrets, d’avoir des notions sur l’architecture des arias, etc. J’ai toujours eu une grande affection pour la musique de chambre et la musique symphonique, donc je voulais comprendre ce que j’écoutais. Aujourd’hui je fais rire beaucoup de gens parce que je m’amuse à chanter les symphonies de Beethoven dans ma voiture (rires). J’ai également une très grande affection pour la musique moderne française celle de Poulenc. Par ailleurs, j’aime beaucoup Mozart dont la musique suit une certaine logique, elle est très structurée. Hervé Niquet, avec qui j’ai travaillé le Requiem, m’a apporté de nouvelles clefs pour comprendre ce compositeur.
Comment définiriez-vous votre voix ?
C’est toujours délicat de parler de sa voix… Je suis un soprano lyrique léger qui semble évoluer vers un lyrique. D’après les retours que l’on me fait et mon propre ressenti, ma voix est homogène dans tous les registres, riches en harmoniques et possède une large tessiture. Je soigne beaucoup la diction également. Je travaille actuellement des rôles tels que Juliette, Pamina ou Adina. Je m’apprête à interpréter le rôle de Micaëla dans Carmen au Capitole, et plus tard Marie dans La Fille du régiment au Festival des Folies d’O à Montpellier. Outre les exigences vocales qu’ils requièrent, je chante des rôles qui me correspondent, des personnages entiers et enjoués. Par exemple, je ne pourrais pas chanter Donna Elvira maintenant. Il y a des rôles que je n’accepte pas encore car ils sont trop risqués pour moi actuellement. Je ne veux surtout pas brûler les étapes et je veillerai tout au long de ma carrière à ne pas me mettre en danger.
Mon actualité lyrique comprend un Récital Gounod au Palazzetto Bru Zane en mai, avec Clémence Tilquin, soprano et Anne Le Bozec au piano, et un récital à Toulouse en juin. Je vais aussi chanter Adina et Donna Anna mais je ne peux pas vous dévoiler où encore. Adina est un rôle assez exigeant car c’est un rôle belcantiste et je vais le travailler avec des gens qui connaissent bien ce répertoire. C’est toujours important d’avoir l’humilité de se faire conseiller et d’être entourée par différentes personnes. J’écoute très souvent des enregistrements de chanteurs du passé et du présent.
Qui sont ces chanteurs ?
Mariella Devia et Ileana Cotrubas m’inspirent toutes les deux énormément. Ce sont des voix qui sont dans leur centre, c’est-à-dire qu’elles ne sont pas trafiquées. Leur technique est très saine sur toute la tessiture et quel que soit le rôle abordé. Mariella Devia est une dame exceptionnelle. Sa voix est sublime et son chant est très sain. J’aimerais beaucoup la rencontrer et travailler le répertoire belcantiste avec elle. Chez Ileana Cotrubas, c’est le timbre qui me touche particulièrement. Ecoutez-la chanter Adina ou Violetta, vous verrez ! J’écoute souvent le CD d’airs de Mozart que Natalie Dessay a enregistré en début de carrière. La voix est tellement belle, tellement facile. C’est un exemple pour moi même si on ne partage pas tout à fait le même répertoire. Enfin, Anna Netrebko est selon moi une artiste « extra-ordinaire » au sens littéral du terme. Chez les ténors, j’admire Roberto Alagna pour la diction et la santé vocale. Il chante beaucoup de rôles sur les plus grandes scènes et il captive le public. Lawrence Brownlee possède une voix très pure et c’est en plus une personne très humble. Je suis toujours touchée par l’humilité chez les gens. Je pourrais citer bien d’autres chanteurs comme Elina Garanca ou Nicola Alaimo …
Pensez-vous qu’il est plus difficile d’être chanteur aujourd’hui qu’il y a vingt ou trente ans ?
Il y a effectivement beaucoup de monde qui chante bien aujourd’hui mais les critères physiques tiennent une place prépondérante dans ce milieu. Artiste lyrique est un très beau métier mais il faut s’armer moralement… Dans ma catégorie vocale, nombre de chanteuses sont très belles. J’ai néanmoins l’impression qu’il y a de la place pour tout le monde. Il est difficile de trouver un agent pour commencer. Passer des concours de chant est un bon moyen d’être repéré par un agent. Un bon agent saura cerner le potentiel d’une voix et l’évolution qu’elle prendra au gré des années.
A ce propos, pouvez-vous nous parler de votre expérience des concours ?
Je suis souvent cataloguée comme la chanteuse qui a passé énormément de concours mais en réalité je n’en ai pas passé tant que ça ! J’ai cette réputation parce que j’ai eu la chance de gagner un ou plusieurs prix dans le cadre de ces concours qui m’ont apporté énormément : si je chante aujourd’hui à Marseille, Bastille et Monte-Carlo, c’est grâce à ces concours et aux directeurs de casting qui étaient présents. Je conseille aux jeunes chanteurs d’avoir cette expérience dans le but de se faire repérer et d’obtenir des contrats. C’est aussi l’occasion de chanter avec un orchestre, ce à quoi on n’est pas vraiment habitué lorsqu’on sort d’un conservatoire ou d’une formation professionnelle. Dans ce contexte, on teste sa voix et on fait face à son trac. Pour le concours Operalia, je ne pensais pas être sélectionnée et encore moins accéder à la finale mais l’adrénaline aidant… En finale, Placido Domingo m’a été d’une aide précieuse dans l’interprétation de mon aria « Oh quante volte ». Il s’est exclamé : « Ah, encore une Giulietta ! Tu vas me faire quelque chose de différent, j’en ai un peu assez d’entendre cet air ! » (rires). Ainsi, il m’a poussée à faire ressortir l’aspect dramatique de cet air mais ce n’est pas du tout évident d’interpréter un air hors du contexte de l’œuvre. Il est important de chanter des airs que l’on maîtrise et de se faire coacher. Le jour d’un concours, il faut se sentir prêt. Cela demande de la rigueur et l’élaboration en amont d’un programme varié.
Propos reccueillis le 12 juin 2017 à Marseille