La vie de Benvenuto Cellini : un véritable roman qui n’a pas manqué d’inspirer Berlioz, et qui mérite d’être conté alors que Benvenuto Cellini revient à l’Opéra de Paris, du 17 mars au 14 avril, dans la production de Terry Gilliam créée à Londres en 2014
On le sait, c’est Alfred de Vigny qui a mis entre les mains de Berlioz l’ autobiographie de Benvenuto Cellini, dans une traduction française de Farjasse vers 1833. C’est à partir de cette œuvre célèbre que les librettistes Léon de Wailly et Auguste Barbier dérouleront la trame de l’opéra, qui connaîtra le sort funeste qu’on sait lors de sa création, ce Malvenuto Cellini par Hector Emberlificoz dont les caricaturistes se délecteront et dont l’œuvre, un peu alambiquée ne s’est pas très bien remise depuis.
Bien des choses que l’on sait de ce personnage fascinant, artiste phare de la Renaissance, proviennent précisément de cette autobiographie, écrite par le sculpteur entre 1558 et 1567. Le luxe de détails qu’on y trouve peut plonger le lecteur dans une méfiance perplexe quant à leur authenticité, bien que dès 1559, Cellini lui-même se défende de toute invention : « Je me suis gardé de rien dire des choses que ma mémoire ne retrouve qu’à tâtons, tandis qu’au contraire j’ai dit la pure vérité, laissant bon nombre d’épisodes étonnants, dont d’autres à ma place auraient tiré grand parti (…) ».
Quel roman que cette vie ! Plongée dans les fastes de l’époque, elle ne cache rien des violences, physiques, sociales ou morales qui accompagnent aussi la Renaissance dans les cités italiennes, de Florence à Sienne en passant par Pise, Bologne et Rome.
Benvenuto signifie Bienvenue en italien. C’est que le futur orfèvre naît alors que personne ne l’attend plus dans sa famille, originaire de Ravenne mais dont une partie s’était installée à Florence. Son père, Giovanni, fils d’un architecte, y exerçait ce même métier, mais excellait aussi en musique. Il avait épousé Elisabeth Granacci, famille voisine des Cellini. Le couple attend 18 ans avant qu’une fille ne vienne enfin au monde. 2 ans plus tard, Elisabeth à nouveau enceinte, tous pensent qu’elle aura une seconde fille. Le 3 novembre 1500, c’est un garçon qui apparaît à la surprise générale et à la grande joie de son père qui s’exclame « Qu’il soit le bienvenu ! ». Le prénom était trouvé.
Giovanni Cellini était un habile sculpteur et surtout facteur passionné d’instruments de musique, au service des Médicis. Si bien qu’il rêve que Benvenuto se destine à la carrière de musicien. Mais le jeune garçon, lui, veut apprendre le dessin et entre à 15 dans l’atelier d’orfèvrerie d’Antonio di Sandro, surnommé Marcone, auprès duquel il renforce sa volonté de devenir un sculpteur. C’est aussi une tête brulée, qui n’hésite pas à ferrailler pour défendre les siens et son honneur à grands coups de poing et de dague dans les rues de Florence, puis plus tard un peu partout. On ne compte plus ses altercations, duels, combats à l’issue parfois fatale pour ses adversaires. Il s’attire ainsi très jeune les foudres du Conseil des Huit, Seigneurie de la ville, qui le bannit plusieurs fois, ce qu’il mettra à profit pour parfaire son apprentissage de l’orfèvrerie auprès de maîtres artisans trouvés à Sienne et à Bologne. Impressionné par les œuvres de Michel-Ange dont des cartons et dessins lui sont présentés par ses maîtres, il réalise alors sa première œuvre d’importance : un fermoir de ceinture qui suscite une grande admiration parmi les orfèvres florentins. Contraint de quitter Florence après une nouvelle algarade, il se rend à Rome où il se fait rapidement remarquer par le pape Clément VII, dont il devient l’un de ses fournisseurs.
En 1527, il prend part comme artilleur aux combats contre les troupes impériales qui assiègent le château Saint-Ange lors du sac de Rome. Après la capitulation, il fuit à Pérouse puis à Mantoue. Pendant ce temps, la peste avait décimé sa famille, et il ne lui restait plus qu’une sœur et un frère, si bien que Benvenuto reste quelques temps à Florence où sa renommée est déjà grande, au point que Michel-Ange lui-même le recommande à de riches clients. Le pape Clément le rappelle bientôt et lui passe plusieurs commandes, ce qui ne manque pas de susciter de vives jalousies dans l’entourage du pape, et en premier lieu parmi les autres orfèvres au service de ce dernier.
Si Fieramosca est une invention, son animosité se retrouve dans deux des personnages également retenus dans l’opéra de Berlioz. Un certain Pompeo de Capitanis, sculpteur milanais, n’aura ainsi de cesse de créer des ennuis à son rival. De même, le directeur de la Monnaie pontificale, Jacopo Balducci est bien loin d’être le père bougon mais finalement conquis de la future épouse de Cellini, qui préfère alors les faveurs de sa servante et modèle. Lui aussi fait tout pour compromettre Cellini aux yeux du pape, sans succès, malgré quelques coups de colère de Clément VII. On ne connaît d’ailleurs aucune Teresa qui aurait épousé Cellini, ni au demeurant aucune épouse officielle. Ses mémoires fourmillent en revanche d’amantes – et sans doute d’amants, ce qu’il ne peut pas dire alors – de passage, de toutes conditions et de tous âges, avec qui il a eu parfois des enfants. Il en évoque au moins deux, une fille et un garçon, sur un mode assez tragique.
Au moment de la mort de Clément VII, en 1534, Cellini se trouve cerné par ses ennemis mortels. Il prend donc l’initiative et au terme d’une nouvelle provocation, tue Pompeo près de chez ce dernier, au voisinage de Campo de’ Fiori. Protégé par le cardinal de Médicis, il est absout par le nouveau pape Paul III Farnèse, qui ne veut personne d’autre pour sculpter ses monnaies, faisant passer la mort de Pompeo pour une peccadille. Le pardon et la faveur du pape déchainent les nombreux ennemis de Cellini et le poussent à fuir à Florence, où le grand-duc Alexandre de Médicis l’engage pour graver le coin de ses propres monnaies.
Grâcié par Paul III, il rentre à Rome mais sa faveur auprès du pape fond comme le bronze dans ses fours et Cellini se résout à aller offrir ses services en France. C’est alors qu’il se prépare à partir qu’il prend pour serviteur un adolescent, Ascanio, qu’il traite – dit-il – comme son fils et à qui il enseigne son art. Il le suit dans son voyage pour la France, mais ne sera pas le compagnon espiègle que l’on entend dans l’opéra et causera bien des tracas à son maître.
Ce dernier rencontre enfin François Ier à Fontainebleau et le roi le prie de le suivre en voyage à Lyon où Cellini se lie d’amitié avec Hippolyte d’Este, archevêque de la ville et cardinal de Ferrare. Malade, l’orfèvre repart pour Rome avec Ascanio. Là, il est accusé d’avoir volé des joyaux lors du sac de Rome, 10 ans auparavant, et arrêté. Jeté au château Saint-Ange, il entreprend de s’évader à l’aide de draps. Mais, épuisé, il se laisse tomber de trop haut et se casse une jambe. Arrêté à nouveau, il subit mille sévices et c’est Hippolyte d’Este, qui, à l’occasion d’un repas très arrosé, obtient du pape de prendre Cellini sous sa protection et de le ramener à François Ier. À Fontainebleau, il est couvert de bienfaits sonnants et trébuchants, ce qui ne le met pas à l’abri, là non plus, des jaloux et aigris de la Cour, et tout particulièrement de la duchesse d’Etampes, favorite du roi. Cellini réalise pour ce dernier la fameuse salière représentant Neptune et Cybèle, qui sera l’un de ses grands chefs d’oeuvre. Dans son atelier du Petit-Nesle, face au Louvre, sur la rive gauche, Cellini peaufine son art de travailler le bronze, et réalise ainsi, notamment, le fameux bas-relief de la Nymphe de Fontainebleau. Mais la duchesse d’Etampes va peu à peu monter son François contre Cellini, ce qui n’est guère difficile tant le sculpteur se montre souvent orgueilleux et colérique.
Le roi le dédaignant désormais, il repart en Italie, laissant à Paris son fidèle Ascanio. Rentré à Florence, il reçoit de Cosme Ier de Médicis l’une des commandes les plus considérables de sa vie, qui contribuera à la rendre plus célèbre encore, son fameux Persée, pour la loggia dei Lanzi, place de la Signoria, juste à côté de l’entrée du Palazzo Vecchio. Un site qui comptait déjà des œuvres de Michel-Ange et de Donatello. Une chance de consécration. Se mettant au travail, il fait la connaissance d’un jeune ouvrier, Bernardino Mannellini di Mugello, dont il fait son domestique et qu’on retrouve aussi dans l’œuvre de Berlioz.
Malgré cette grande commande, qui lui prendra presque 10 ans et qui constitue une prouesse technique – les gestes ayant été oubliés depuis les Romains pour de telles oeuvres – Cellini se plaint de n’être pas aussi bien traité à Florence qu’il l’avait été en France avant sa disgrâce et il n’a guère d’autres opportunités. Après des années d’efforts pour sculpter les moules des composants, en commençant par la tête de la méduse, puis Persée lui-même, arrive enfin le jour de la grande coulée de bronze qui doit achever l’œuvre. Pris d’une fièvre intense, alors même que la confection de son chef d’œuvre arrive à un point critique, il s’en remet à Bernardino pour le mener à bien. Mais voilà qu’on vient lui annoncer que l’échec est complet, le métal ayant coagulé dans un four trop refroidi, tout comme dans l’opéra : « Maître, maître, la fonte se fige ». Cellini se jette hors de son lit et rassemble toutes ses forces pour rallumer son four, au point de mettre le feu à son atelier. Après mille efforts, « un bruit terrible se fit entendre, accompagné d’un éclair aveuglant, comme si la foudre eût éclaté devant nous (…) Je m’aperçus que le couvercle venait d’éclater et se soulevait de telle sorte que le bronze débordait ». C’est alors que Cellini fait jeter dans le feu toute la vaisselle qu’il a sous la main: 200 plats et écuelles en étain. Il n’a pas crié « Prenez tout ce que je possède » comme son personnage, mais il n’en était pas loin : la statue est sauvée. Le 27 avril 1554, sa présentation aux Florentins, après la longue confection du magnifique socle, est un succès mémorable : c’est bien la statue que l’Italie attend, comme le chante Ascanio, mais elle n’a pas été commandée par le pape, ni à Rome.
L’opéra de Berlioz mélange sans doute cet épisode avec un autre plus ancien, datant, lui, de Clément VII : comme dans l’opéra, le pape s’agace de l’orgueil incommensurable de Cellini lorsque ce dernier demande à bénéficier d’une charge de Frères du Plomb. Ces derniers, appartenant d’abord à l’ordre des cisterciens puis s’étant ouverts aux laïcs, avaient pour mission de fermer avec du plomb les bulles pontificales. Le pape refuse, ce qui provoque la colère insolente de Cellini. Ce dernier prend un malin plaisir à retarder la livraison des commandes papales, en particulier un précieux calice, rendant Clément VII fou de rage. On menace Cellini de prison et il s’en moque. Il rembourse l’or qu’on lui avait donné d’avance et garde le calice. Le pape, furieux, exige qu’on fasse pendre le sculpteur sur le champ. Une fuite à Naples et quelques bonnes paroles lui permettront cependant bien vite de rentrer en grâce.
Benvenuto Cellini meurt à Florence le 13 février 1571. Il est inhumé dans le cloître Saint-Luc de la basilique de l’Annunziata à Florence, lieu de sépulture des artistes et qui appartenait depuis 10 ans à la confrérie des artistes. Reconnu comme l’un des plus grands orfèvre et sculpteur de son temps, il sera accompagné dans son dernier voyage par toute la confrérie.