Il aura fallu attendre 137 ans pour que Cinq-Mars de Gounod revoie le jour, en concert à Munich et à Versailles. Et c’est à Leipzig qu’a eu lieu la résurrection scénique de cet opéra où on pourra le revoir à partir du 20 janvier.
Composition : octobre 1876 à janvier 1877. En attendant la création de Polyeucte, terminé en avril 1876 mais qui ne sera créé qu’en octobre 1878, Gounod répond à la demande de Carvalho qui voulait une œuvre nouvelle pour l’Opéra-Comique dont il est devenu directeur en septembre 1876.
Création : 5 avril 1877 à l’Opéra-Comique, avec dialogues parlés ; pour la reprise de novembre, Gounod écrivit des récitatifs chantés et modifia plusieurs numéros. C’est le dixième des opéras de Gounod, dix ans après Roméo et Juliette.
Cette année-là : à l’Opéra de Paris, Le Roi de Lahore, première œuvre ambitieuse de Massenet, le 27 avril. Belle année pour l’opérette : Offenbach propose au Théâtre des Variétés Le Docteur Ox le 28 janvier ; le Théâtre des Folies-Dramatiques présente le 19 avril Les Cloches de Corneville, qui connaîtront plus de 400 représentations ; aux Bouffes-Parisiens, L’Etoile de Chabrier est montée le 28 novembre. A Weimar, le 2 décembre, Samson et Dalila est créé (en allemand).
Librettistes : Paul Poirson et Louis Gallet d’après le roman d’Alfred de Vigny (leur livret n’en conserve en fait que très peu d’éléments).
Genre : opéra-comique d’abord, puisqu’il y avait du parlé à côté du chanté, quasi-grand opéra ensuite, puisque composé sur un sujet historique. En quatre actes quoi qu’il en soit.
Intrigue : le jeune marquis de Cinq-Mars, promis à un bel avenir à la cour, est épris de la princesse Marie de Gonzague, mais leur idylle est contrariée par le projet de mariage arrangé entre Marie et le roi de Pologne. Lasse du pouvoir de Richelieu, la noblesse française complote pour renverser le cardinal et souhaite que Cinq-Mars se joigne à la conspiration. Informé du projet, le Père Joseph, « éminence grise » et bras droit de Richelieu, annonce à Marie que le marquis va être exécuté pour trahison : si elle consent à épouser le roi de Pologne, Cinq-Mars sera épargné. Au dernier acte, celui-ci s’apprête à s’évader de sa prison avec l’aide de son ami De Thou, mais leur projet échoue, et le héros est conduit à l’échafaud.
Personnages : Cinq-Mars, ténor ; De Thou, baryton ; Marie de Gonzague, soprano ; le Père Joseph, le méchant de l’histoire, basse ; Eustache, un espion, basse ; le vicomte de Fontrailles, baryton ; Montmort, Monglat, Brienne et Montrésor, gentilshommes divers, respectivement ténors, baryton et basse ; Marion Delorme, femme galante, soprano ; Ninon de l’Enclos, autre femme galante, soprano ; le roi Louis XIII en personne, basse ; un chancelier (basse), un ambassadeur (ténor) et un berger (mezzo).
Les créateurs : Caporal du génie avant de faire des études de chant, le ténor montpelliérain Etienne Dereims devait en 1883 créer le rôle de Don Gomez dans Henri VIII de Saint-Saëns et en 1884 Phaon dans la version en quatre actes de Sapho. La Bibliothèque-Musée de l’Opéra conserve un superbe portrait où Adolphe Yvon l’a représenté en Duc de Mantoue (1885). En 1890, il fut à Monte-Carlo le partenaire de Nellie Melba dans Roméo et Juliette ou dans Hamlet.
Le tube : Un seul air a survécu, « Nuit resplendissante », qui a été enregistré par des sopranos et des mezzos.
La scie : Trop brefs, plusieurs airs de Cinq-Mars laissent l’auditeur sur sa faim, car le compositeur semble avoir délibérément refusé de les développer autant qu’il l’aurait pu.
Anecdote : Pour profiter des espoirs suscités par le retour de Gounod au théâtre après dix ans d’absence, l’éditeur Grus publia avant la première de Cinq-Mars toutes sortes d’extraits et airs séparés, mais aussi de valses et paraphrases inspirées de la partition, comme autant de « produits dérivé ». Le teasing existait déjà en 1877…
CD recommandé : Une seule version existe au catalogue, celle du Palazzetto Bru Zane, enregistrée dans la foulée des concerts de 2015. Par chance, elle est excellente et réunit autour de Véronique Gens et Mathias Vidal une distribution tout à fait équilibrée.
DVD recommandé : La récente résurrection scénique à Leipzig, dans une mise en scène signée Anthony Pilavachi, avec Mathias Vidal également, et Fabienne Conrad en Marie de Gonzague, finira peut-être sur YouTube, qui sait… (attention, l’opéra y a été donné sous le titre Der Rebell des Königs, titre sous lequel le roman de Vigny a jadis été traduit en allemand).