Celles et ceux qui, parmi les moins cacochymes d’entre nous, auraient découvert Danielle Darrieux dans Huit Femmes n’auront pas manqué de noter que son aria conclusive – Il n’y a pas d’amour heureux – était entonnée d’une belle voix, magnifiquement posée, de soprano léger. Soprano léger lézardé, en 2002, mais dont les critiques soulignèrent l’envoutant magnétisme. Des huit protagonistes, d’ailleurs, elle semblait la mieux rompue à l’art délicat de la mélodie. C’est que sa mère, pour subvenir aux besoins de la famille, donnait des leçons de chant et lui apprit très tôt les incontournables de Duparc et de Fauré. Voilà comment cette irremplaçable icône, qui a eu l’idée détestable de nous quitter, a entamé sa carrière dans une série de comédies-musicales qu’on ne voit plus que dans les cinémathèques (les curieux se précipiteront sur La crise est finie de Robert Siodmak). Le paradoxe, c’est que l’actrice n’a jamais pris le moindre cours de théâtre, elle qui triompha avec Wilder, avec Ophuls, avec Mankiewicz – Five Fingers ! – et qui finit par défendre âprement ses titres dans Huit femmes, avec une avarice telle que Catherine Deneuve l’envoya dans les limbes en l’assommant d’un coup de bouteille de whisky*. Au contraire, elle étudia l’économie… et le violoncelle. « J’avais appris le piano. J’étais très flémarde. Je n’avais pas du tout la vocation mais ma mère m’a encouragé car, selon elle, on ne vit pas sans musique. Je voulais faire du saxophone – pour une femme, il n’en était pas question – et de la contrebasse, qui était trop lourde. Alors ce fut le violoncelle. »
Disparaître à cent ans, en laissant derrière elle un legs d’une telle importance, voilà probablement le dernier coup d’éclat de Danielle Darrieux.
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